Ait Atta
le géoparc du jbel bani - tata

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Ait Atta

SUR LA PISTE DES BIJOUX DU MAROC

DANIEL FAUCHON

IBIS PRESS      

   Il est évident que j’aurais aimé me trouver aux cotés de Jean Besancenot il couchait sur la pellicule ou saisissait d’un coup de crayon le détail d’un vêtement ou d’un bijou. J’aurais aussi aimé être à l’écoute de Mireille Morin-Bard quand elle s’entretenait avec femmes du Draa ou du Dadès.

    J’aurais aimé … - tant de choses – que cette page ne suffirait pas à les contenir. Mais voila, les temps ont changé. La télévision, la parabole, le satellite ont remplacé la veillée au coin du feu. Les vêtements d’inspiration européenne, plus faciles à porter, ont pris le pas sur le kaftan, l’izar, ou l’haik. L’or, jusqu’ici considéré comme étant impur, a supplanté l’argent. Les bijoux manufacturés ont enterré la tradition. Même la mémoire, pourtant si prolifique, dans un tourbillon d’amnésie semble parfois se jouer du maladroit et vouloir rejoindre les forces obscures du néant.

   Me rendant le jour du souk a Tinerhir pour essayer de négocier chez quelques bijoutiers une paire de lourds bracelets côtelés, jadis portés par les femmes des Ahl Todrha et aujourd’hui destinés a la refonte, je fis un détour par le douar de Ouaklim.

   Ouaklim … point sans importance sur une carte routière, est un des douars des Ait Bou Iknifen, des Berbères de la grande famille des Ait Atta.

    Ait Atta … un nom qui résonne comme un marteau sur une enclume et m’attire comme un aimant.

    Selon Ibn Khaldoun, les Ait Atta sont des sanhaja. Réunis en confédération ou super tribu, divisées en cinq khoms, ils regroupent sous un même étendard des Berbères, des Arabes et des tribus supposées d’origine juive. Leur territoire est immense. On les retrouve dans le Tafilalet, le Rheris, le Ziz, le sarho, le Todrha, le Dadès, le Draa, le Mhamid le Tinzouline et le Bani. Entre la conquête de l’Espagne aux cotés Almoravide pour les factions les plus anciennes, et le soulèvement du bougafer, leur réputation n’est plus à faire. Redoutables combattants, mille fois sollicités, le sang de leurs ennemis a marqué la pierre et rougi torrents et rivières.

       Tolède 1085 : la vieille citée wisigothique, musulmane depuis quatre siècles, n’est plus. Ses rues sont jonchées de cadavres. Un immense tapis visqueux, rouge sang, recouvre le sol. Des femmes pleurent, des enfants crient, des hommes en silence attendent la mort. Les troupes d’Alphonse VI roi de Léon, de Castille et Galice, pillent, saccagent, égorgent. La ville leur appartient. Les princes musulmans d’Espagne, désemparés par cette défaite se tournent une fois de plus vers le maroc.

      Le nouveau maitre du Maghreb est à cette époque Youssef ben Tachfin. Ses troupes figurent parmi les meilleures. Dans leurs rangs se trouvent des Msouffa, une des premières tribus Ait Atta dont l’histoire fasse mention.

     Sagrajas 1086 : prés de Badajoz une immense bataille vient d’avoir lieu. Le sol résonne encore des sabots des chevaux et du son des tambours. L’air est irrespirable. Dans le ciel des charognards tournent en rond. Alphonse VI – le boucher de Tolède – est cette fois –ici battu, humilié. Il ne peut que constater son désastre et regarder de loin les musulmans faire l’appel a la prière du sommet des cranes de ses braves soldats. Le sang de Tolède est lavé.

      Maroc, djebel sahghro 1933 : 80000 soldats aux couleurs de la France, venus de toutes les régions pacifiées de canons et soutenus par quarante avions stationnée a  Ouarzazate sans répit le Bougafer. Dans leurs rangs se trouve un officier d’exception : Henry de Lespinasse Bournazel, surnommé l’homme rouge. Face à lui, dans des montagnes réputées imprenables, une légende est en train de naitre. Elle a pour nom assou-ou- Baslam. Avec seulement 2000 fusils, femmes et enfants, cet homme étonnant sera le moteur d’une résistance, qui, dans des conditions infernales, teindra tête pendant 52 jours à la « pacification » colonialiste.

      Avec plus de 2000 victimes de part d’autre, il devait n’y avoir ni vainqueurs, ni vaincus. Les Ait Atta avaient gagné le droit au respect. « Le respect de la liberté de leurs femmes, de ne plus chanter ni danser sinon pour les cérémonies de mariage, la création a Ighrem Amazdar d’un tribunal coutumier… »

       Depuis les vieilles rancœurs se sont apaisées et la région a retrouvé calme et sérénité. Les nomades Ait Atta, redoutables expansionnistes, se sont peu à peu sédentarisés. Ouaklim n’est qu’ »un petit point sans importance » situé de l’autre coté du Bougafer.

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       Grace à l’ouvrage de Mireille Morin-Barde, je savais que les femmes de ce douar portaient encore, dans les années cinquante, plusieurs bijoux traditionnels, dont certains modèles sont aujourd’hui en ma possession. Passant à proximité, je voulais en profiter pour compléter mes notes et, pourquoi ne pas, acquérir quelques autres vestiges du passé.

    Oubliant Assou-ou-Baslam. Les Almoravides et le reste, j’arrêtai mon Toyota a proximité d’un groupe d’hommes discutant entre eux à l’hombre discutant entre eux à l’hombre d’un mur de terre. Sans plus attendre. Je me risquai avec toute la courtoisie nécessaire à les interpeller. Ne doutant de rien. Surtout pas de moi, sortant mon carnet de notes sur lequel figuraient mes dessins, je demandai, a ceux qui m’entouraient, s’ils avaient gardé le souvenir de ces bijoux, jadis portés par leurs femmes ou leurs mères, voire, pour les plus jeunes, leurs grand-mères. Pensant être revêtu d’une mission me conférant le droit a la question, je m’attendais à ce que ceux-ci confirment ce simple fait.

      Leur réponse fut pour le moins étonnante. A les entendre, les parures Ait Atta présentes dans mon carnet n’étaient pas de chez eux. Mais, a contrario, toutes celles ayant appartenu a d’autres tribus, de l’Atlantique a l’Algérie, furent, bien entendu, jadis portées par les femmes de leur village. Par cette réponse, ces hommes me firent comprendre avec malice que je n’étais qu’un intrus, un impoli, doublé d’un indiscret. Je n’avais que ce que je méritais. Pourtant, « l’ami marocain » m’avait a maintes reprises mis en garde contre mon impétuosité.

            « Tu cours, tu passes, tu es toujours trop pressé… Tu me prends pas le temps d te poser, de respirer, de regarder, d’écouter le silence. Si tu en faisais l’effort, tu progresserais beaucoup plus vite dans tes recherches. »

     Sur l’ensemble des territoires couverts par cette confédération, et ceci malgré la diversité des tribus la composant, il existe dans leurs parures respectives une certaine unité, du moins des points de rencontre.

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     Le bijou le plus représentatif des femmes Ait Atta est certainement cet étonnant bracelet d’argent à douze pointes appelé en berbere : asbig n inqurrain (page 39). Pesant prés de 600 grammes, porté par paire a chaque bras, ce véritable patrimoine financier, facile a revendre en cas de nécessité, pouvait dans un combat au corps, se transformer en une redoutable arme de défense. Bien que remarquables, ces bracelets, a l’aspect rustique, ne figurent pas dans le registre des pièces les plus recherchées par les collectionneurs. Pour beaucoup, la plus prisée, reste un collier de grosses boules d’ambre dépassant parfois le mètre et approchant le kilogramme. Devenu très rare, représentant une véritable petite fortune, ce dernier est aujourd’hui remplacé par de pales imitations en résine de synthèse. Paradoxalement, ce ne fut pas lui : le merveilleux, l’unique, qui m posa le plus de difficultés à acquérir. Mais une modeste parure de tête, composée de trois fines chaines, fixées a la coiffe par trois crochets appelés dans le Drâa «Taskrt ». De maigre valeur commerciale, elle semble ne pas avoir résisté à l’usure du temps. C’était elle, la petite, la modeste, que secrètement j’espérais trouver en m’arrêtant à Ouaklim.

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Source Web : DANIEL FAUCHON, SUR LA PISTE DES BIJOUX DU MAROC, IBIS PRESS

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