L’ami marocain
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L’ami marocain

SUR LA PISTE DES BIJOUX DU MAROC

DANIEL FAUCHON

IBIS PRESS

    Il est multiple et un à la fois, Il est juif, berbère et arabe. Il est du bled, de la ville, de la montagne comme de la plaine. Il est le passé, la mémoire, le présent et le futur. Il est l’essence même du pays. Il est l’ami marocain.

 Compagnon anonyme de voyage, témoin silencieux de mes propres expériences, il m’a enseigné la valeur de la patience et un étrange alphabet ou chaque lettre, comme un livre d’images, me proposait un nouveau pas initiatique vers un monde d’une étonnante richesse.

 Je l’ai rencontré pour la première fois à Marrakech, en 1975. A la recherche d’un tapis sentant bon le musc et l’encens des familles d’autrefois, je m’étais plus ou moins égaré dans la médina. Bien que mes poches ne débordent pas de coupures beiges rosées à l’effigie du roi Hassan II, chaque bazariste me reçut comme si j’étais le roi de Perse. Dans une sorte de ballet mille fois répété, de pas agiles et de mains habiles, ces hommes affables déplièrent devant mois des dizaines de pièces. Premier client de la journée- porteur d’une aura particulière- tous, sans exception – en pur altruisme – avaient pour désir de combler mon souhait le plus cher : réaliser une bonne affaire.

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 Bien qu’un seul et étrange tapis-sac (ou sac-tapis) des Ait Mguild, reteint mon attention, a maintes reprises, autour de l’éternel thé a la menthe, horriblement sucré, s’engagèrent en vain d’apres négociation.

 Fatigué de ce marathon de palables, m’échappant de ce labyrinthe sans fin, je posais après plusieurs heures mon céans a la terrasse d’un café. C’est la qu’un gamin, jamais vu, interpella en arabe l’ami marocain lui proposa un marché, aussi trouble que limpide.

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 «  Retourne chez le patron avec ton ami, fait lui acheter le tapis, toi et moi toucherons vingt-cinq pour cent du prix de vente. »

 Un rien, une bagatelle qui voulait simplement dire que la supposée bonne affaire, ceci malgré une forte négociation, avait failli me couter pas moins de quatre fois sa valeur réelle. Evidemment, je laissais la ou je l’avais trouvée cette pièce de coton et laine.

  Fort de cette expérience, je n’attendis pas moins dix-huit ans pour me risquer à acquérir dans la même médina mon premier bijou ethnique : une paire de fibules en argent moulé.

 Les fibules, qui ont perduré depuis l’antiquité – en voie de disparition dans leur usage coutumier – son des sortes d’épingles de sureté en métal dont la fonction première était de réunir deux pans d’un même vêtement, ici l’isar.

  Support obscur d’une pensé aux racines ésotériques partiellement oubliées, elles furent certainement l’élément de parure le plus caractéristique de la femme marocaine.

D’apparences modestes, celles qui ventaient, après dix-huit années d’attente, d’alléger mon portefeuille faisaient partie de cette longue lignée plusieurs fois millénaire. Pas moins de sept estampilles répartir sur le corps, l’ardillon l’anneau ouvert et les rivets de fixation leur conféraient un caractère particulier. Bien entendu, ces meurtrissures soules – virent chez moi une certaine curiosité.  

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Sans jamais avoir eu la possibilité de m’y attarder, j’avais déjà entraperçu, un éclat de soleil, ce reflet de métal sur certaines femmes du sud. Mais une silhouette en contre-jour, une étoffe qui se froisse dans un nuage de poussière, trop subtil pour le regard fugitif du voyageur, ne permet, en aucune façon, de distinguer le moindre détail.

  Sur le modèle en ma possession, figuraient en bonne place : un « 1 », deux « 3 » et un « 4 ».1334… pour moi une date ? Une époque, le XIV siècle ? En France, nous étions en plein moyen-âge. Philipe VI de Valois était notre roi. Trois ans plus tard nous entrions pour cent ans dans un conflit larvé avec l’Angleterre. Ici quelque chose ne collait pas. Si le « 1 » les deux « 3 » et le « 4 » représentait réellement comme je le pensais l’année 1334, l’ancienneté apparente et le prix d’acquisition n’étaient pas en corrélation avec cette dernière. Un gouffre les séparait.

 Afin d’éclaircir ma pensée, je me tournais vers le maitre des lieux. Avant même que je luis fasse part de cette interrogation, l’homme, ni vieux, enveloppé d’une djellaba gris, me dit que j’avais à la fois tort et raison. 1334 représentait bien une date, mais elle n’avait rien à voir avec notre XIV siècle. Nous n’étions plus dans l’ère chrétienne, mais dans celle de l’hégire.

 L’ère de l’hégire commence 622 de l’ère chrétienne. Elle représente  pour les musulmans, l’année ou Mahomet, en danger a la Mecque, quitta cette ville pour Médine l’accueillante.

  Par un savant calcul, dans lequel il faut diviser 1334 par 33, retirer le résultat du premier chiffre et y ajouter 621, il me démontra que 1334 au calendrier musulman correspondait a l’année 1915 de notre calendrier grégorien. Cela sembla, du coup, beaucoup plus raisonnable.

  Cette paire de fibules avait donc été estampillé a une époque ou un grand nombre de marocains, dans la tranchée de l’est de la France, payaient de leur sang un conflit qui n’était pas le leur.

   Assis sur un petit tabouret branlant, je restais plus d’un heur à écouter cet homme me parler des bijoux, de leur origine, de leur représentation, de son métier, de sa collaboration avec des musées internationaux, avec des auteurs. Il me fascinait. Le quittant à regret, jouant des coudes avec une foule multicolore qui envahissait en vagues déferlantes les artères de la médina, je forçais le pas jusqu'à la place jemaa el fna. La, ignorant les charmeurs de serpents, lest acrobates, les conteurs et tous les autres bateleurs, je me jetai dans un petit taxi collectif et demandai le quartier du Guéliz.

  Si Marrakech fut fondé au XI siècle par des sanhaja venus du Sahara occidental, le quartier du Guéliz, émanation européenne, vit le jour dans la première moitié du XX siècle. En moins de cinquante ans, deux mondes séparés par neuf siècles de culture et de traditions apparient a cohabiter.

 Continuellement remodelé, contrastant avec les ruelles étroites de la médina, le Guéliz s’ouvre sur de larges avenues bordées d’immeubles modernes. Profitant du temps présent, aux terrasses des café, café-cassé et jus d’orange accompagnés d’une boule de glace vanille, les hommes, en paroles feutrées, y débattent de politique, de commerce et de tout et de rien à la fois. Aux feux tricolores, difficilement respect, les automobiles, les vélos, vélomoteurs, les calèches, jouant de l’avertisseur sonore, y défient les plus élémentaires lois de l’existence.

   Arrivé miraculeusement à destination, je me mis sans plus attendre en quête d’ouvrages rédigés en français, pouvant m’éclairer sur les fibules et autres bijoux traditionnels du Maroc. Je n’en trouvais qu’un seul, écrit par un docteur en médecine.

  Chaque page feuilletée fut pour le néophyte que j’étais un véritable puis de plaisir. Comme un cadeau, a la quat vingt-seizième, une des paires de fibules reproduites ressemblait comme une jumelle a celle que je venais d’acquérir. Même le poinçon dit « de la tour », utilisé sous le règne du sultan Moulay Hassan Ier (1873-1894) y figurait. A mon grand regret, accompagnant l’iconographie, seules quelques lignes, bien trop pauvres, faisaient référence a une tribu, une région, une époque.

   Très vite, aux premiers instants de joie, succéda la perplexité. Comment, un objet estampillé « de la tour » 1873-1894, antérieur au XX siècle, pouvait-il dans un même temps, être daté 1334 (1915) ? Docteur en rien mais curieux de tout, il était indispensable que j’éclaircisse ce mystère. C’est à l’écoute de l’ami marocain que j’acquis les éléments de réponse.

    Parfois il suffit simplement d’inverser le problème pour avoir la solution. Ici. A première vue, trop d’estampilles tuent l’estampille … et pourtant ?

       Pour comprendre ce trop-plein, il te faut d’abord analyser pourquoi un grand nombre de bijoux dit ‘ en argent’ ne possèdent aucun poinçon. L’argent en bijoutière, pour des raisons de dureté, de malléabilité, est obligé d’être associé a un autre métal, principalement du cuivre. Trop de cuivre dans un bijou diminue valeur marchande. L’estampille est la pour garantir que l’alliage argent-cuivre correspond bien a des normes de qualité.

  Seuls, les amines (juges) de la corporation, eux-mêmes bijoutiers, étaient accrédités pour apposer ce poinçon. Pour des raisons de pure logique commerciale, ces amines exécraient dans des grands centres urbains réunissant un certain nombre de bijoutiers justifiant leur présence : Fès, Marrakech, Mogador … malheureusement, la majorité des artisans de cette corporation exerçait en zone rurale, a des distances parfois considérables des centres ou se trouvaient les amines. Il y a moins d’un siecle, pour un grand nombre de personnes, les chemins étaient peu surs, voire dangereux. Se déplacer d’un point à un autre sans une quelconque protection pouvait couter la vie. De ce fait, les bijoutiers du bled, quelle que soit la nature de leur alliage, n’allaient pas obligatoirement a la ville faire apposer la marque de garantie.

       Cette conjoncture réunissant l’insécurité et la distance est la principale raison de l’absence de poinçon sur un grand nombre de bracelets et fibules en argent de qualité.

       Un autre cas vient compléter ce tableau. Il s’adresse plus particulièrement à des pièces d’exception, dites de commande.

       Certaines familles, fortunées, avaient pour habitude de s’attacher à demeure des talents, parfois pendant plusieurs années consécutives. Ceux-ci, souvent nourris et logés, avaient pour chargé de réaliser, à la demande, des pièces uniques, dont la matière première (l’argent) était fournie par le maitre de maison. D’où la non-nécessité pour ces dernières, non destinées au commerce, de recevoir, pour garantie, l’estampille des amines.

       De ce fait, pour les pièces les pièces les plus populaires, comme pour les plus bourgeois, il faudra attendre, un voyage sécurisé, un héritage, un revers de fortune, une revente, pour qu’elles reçoivent enfin leur titre de noblesse.

       Ainsi, un bijou marqué du sceau des amines de Fès ou de Marrakech, peut très bien avoir été fabriqué à l’autre bout du maroc, dix quinze, Trent ans auparavant. 1334 avec un poinçon de fez ne veut pas obligatoirement dire que le bracelet ou la fibule en question fut réalisé dans cette ville en 1915, mais qu’elle y a simplement été estampillée. Pour couronner le tout, certains de ces sceaux, considérés comme étant porteurs d’un pouvoir bénéfique (sceau de la tour), furent utilisés par certaines amines bien après le retrait de leur mise en circulation légale.

     Il n’est donc pas si étrange que cela d’avoir des parures en argent possédant plusieurs poinçons d’origine différente. « Ta paire de fibules n’a rien d’exceptionnel, elle rentre simplement dans cette catégorie. »

     Ce ne fut que le 1er octobre 1925 (1334 de l’hégire), qu’un dahir et son arrêté viziriel remplacèrent pour l’argent 800/1000, sur tout le territoire marocain les poinçons traditionnels et locaux, par celui, unique, de la tête de bélier.

      Peu de parures authentique, estampillées ou non, antérieures a ce dahir, se trouvent encore sur le marché.

 

     Par le passé, usés, vieillis, ces bijoux d’argent étaient généralement brisés et allaient rejoindre, afin d’être recyclés, dans les creusets des bijoutiers, d’anciennes pièce de monnaie souvent étrangères. Cette nouvelle masse de métal, refondue, épurée des sévices antérieurs, servait alors a fabriquer d’autres parures, parfois a l’identique, mais neuves.

    Seules, quelques-unes d’entre elles, considérées comme faisant partie du patrimoine familial ou oubliées au fond d’un coffre, échappèrent à cette immolation sur l’autel de la séduction.

     De facto, la paire de fibules que je venais d’acquérir, estampillée 1334 avec un poinçon a la ‘tour’, bien que relativement courante, avait droit de citation. Disons, pour faire simple, qu’elle était ancienne.

Source Web : DANIEL FAUCHON, SUR LA PISTE DES BIJOUX DU MAROC, IBIS PRESS

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