Le vieux juif
SUR LA PISTE DES BIJOUX DU MAROC
DANIEL FAUCHON
IBIS PRESS
Il y a de cela très longtemps, au pays des Ait Serrhouchen, si longtemps que personne n’en a gardé le souvenir, vivant un vieux juif, un artisan, bijoutier d’exception. C’est le vent, frissonnant dans les genévriers, qui un beau matin d’été, au pays des Ait Bou Gmez, m’a raconté son histoire. Personne ne savait d’où il venait, ne connaissait ni son nom, ni pourquoi il avait échoué ici. Aucune femme, aucun enfant ne l’accompagnaient. A l’inverse des ruraux, il était vêtu comme un citadin, de noir comme la loi l’exigeait depuis Le XIII e siècle. Son savoir et la maitrise de son art étaient si grands qu’il se coupa lui-même la langue afin de ne pas être tenté de le propager et crée ainsi la jalousie. Seul. Dans sa misérable demeure, il confectionnait sans relâche des parures d’argent que personne ne venait acheter. Il les fabriquait, les brisait, les refondait, en refaisait d’autres et ainsi de suite ans jamais s’arrêter. Un jour, devant sa demeure s’écroula un cavalier couvert de sang. Les blessures de l’homme étaient si profondes qu’il avait peu de chance de survivre. Le vieux juif, dans le plus grand secret, abandonnant son travail le porta sur sa paillasse, le soigna et le veilla jour et nuit pendant de longs mois.
Pendant tout ce temps, Le cavalier dans son délire parlait de sa fortune qu’il avait perdue. De sa fille qu’il ne pourrait plus marier. L’homme se remit petit de ses blessures et voulut avant de reprendre le piste remercier son sauveur en lui offrant la seule chose qu’il lui restait : une sacoche de cuir ramenée d’une expédition au pays des Noirs. Le vieux juif sans nom et sans langue lui prit l’objet, rentra dans la seule et unique pièce qui lui servait a la fois d’atelier, de cuisine et de chambre a coucher, sortit d’un coffre de bois un taseldit (pectoral), une taounza ( diadème) des ibzgan ( bracelets), des pièces uniques d’une remarquable beauté, fabriquées avec le meilleur argent et le plus fin des nilles. Il en remplit la sacoche de cuir et l’enduit à son ancien propriétaire lui faisant comprendre que ceci n’était pas pour lui mais pour sa fille. Rentré chez lui, le cavalier maria sa fille. Le vieux juif venu de nulle part repartit d’où il était venu, sans laisser derrière lui la moindre trace de son passage, de son existence. Les deux ibzgan, aujourd’hui en ma possession, collectée en dehors du pays des Ait Srhrouchen, seraient, d’après le vent, ceux fabriqués par ce bijoutier et portés ce mariage.
Source Web : DANIEL FAUCHON, SUR LA PISTE DES BIJOUX DU MAROC, IBIS PRESS
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