Egypte : retour sur une découverte archéologique … qui n’est sans doute pas une "cité perdue"
L’annonce récente d’une grande découverte archéologique dans l’ancienne ville de Thèbes, en Egypte, pourrait ne pas être celle d’une "cité perdue", comme proclamée, mais plutôt des installations en lien avec la cité-palais d’Amenhotep III. Une découverte néanmoins d'importance qui pourrait éclairer d'un jour nouveau les premières années de règne de son fils, le "pharaon hérétique" Akhenaton.
L’information a fait le tour du monde ! Jeudi 8 avril 2021, les autorités égyptiennes – par la voix de Zahi Hawass, ancien secrétaire puis ministre des Antiquités - annonçaient la découverte d’une "cité d’or perdue" sur la rive ouest de l’antique Thèbes, l’actuelle Louxor. Comme les autres médias, Sciences et Avenir s’est fait l’écho de ce qui était alors présenté comme "la plus grande ville de l’Egypte ancienne fouillée à ce jour …". Pour autant, la formulation quelque peu hyperbolique du communiqué officiel a laissé dubitatifs un certain nombre d’égyptologues qui apportent aujourd’hui un éclairage plus précis sur cet événement.
Une "cité d'or perdue" ou les quartiers d'un village d'artisans liés à un complexe architectural déjà connu? Crédits: Egypt Luxor Arcaheological Discovery
Si tous s’accordent à reconnaître l’importance de la découverte réalisée à proximité du temple de Medinet Habou, ces spécialistes estiment que les vestiges de 3400 ans exhumés pourraient, plutôt qu’une "ville", concerner des aménagements liés à un complexe architectural bien connu : celui de Malqata, la cité-palais d’Amenhotep III (1386-1353 av.J.C), le père d’Akhénaton (Amenhotep IV), souverain de la XVIIIe dynastie.
"Les vestiges exhumés sont en fait dans la continuité d’un site fouillé en 1935"
Une opinion exprimée par l’égyptologue Christian E. Loeben de l’August Kestner Museum de Hanovre et de l’Université de Göttingen (Allemagne) dans un article publié dans le magazine en ligne Spektrum.de. Il est rejoint par l’égyptologue français Robert Vergnieux, ancien directeur de l’Unité CNRS Archéovision à l’Université de Bordeaux-Montaigne (Gironde), grand connaisseur de cette période majeure de l’histoire de l’Egypte antique. Joint par Sciences et Avenir, ce spécialiste des constructions d’Akhenaton et du site d’Amarna - la capitale que ce souverain s’était faite construire à 200 km de là -, explique que ses premiers doutes concernant une nouvelle "cité" sont apparus avec la publication des photos des murs de briques ondulés mis au jour. "Les vestiges exhumés sont en fait dans la continuité d’un site archéologique proche fouillé en 1935 par les archéologues français Clément Robichon et Alexandre Varille (IFAO), dont les archives sont consultables au département d’Egyptologie de l’Université de Milan (Italie)".
Délimitation des excavations 2021 réalisées à Thèbes sous la direction de Zahi Hawass (tracé blanc), en relation au site fouillé en 1935/1936 par les Français Robichon et Varille (en jaune). Ont également été placés sur ce croquis les vestiges des temples voisins d'Aÿ et Horemheb (successeurs d'Akhenaton), ainsi que celui de Medinet Habou (Ramsès III). A l'extrémité du plan de Robichon et Varille de 1935 (le temple de l'architecte Amenhotep fils de Hapou), figurent déjà des murs ondulés. Crédits: Robert Vergnieux pour Sciences et Avenir.
Photos d'archives des fouilles de 1935 de Clément Robichon et Alexandre Varille du "Temple d'Amenhotep fils de Hapou", (l'architecte royal d'Amenhotep III), où l'on peut apercevoir (en haut) un tronçon de murs ondulés.
Un lien indéniable avec le pharaon Amenhotep III
Selon l'égyptologue Zahi Hawass, ce serait en recherchant le temple funéraire de Toutankhamon qu’il aurait découvert ces nouveaux vestiges entre les temples d’Amenhotep III et le château des millions d’années de Ramsès III, à Medinet Habou. Les sceaux d’argile et de briques estampillées du cartouche d’Amenhotep III recueillis, attestent bien, sans le moindre doute, d’un lien entre cette découverte et le pharaon du Nouvel Empire. "C’est justement parce qu’ils se trouvent dans le voisinage immédiat du palais d’Amenhotep III [à Malqata NDLR], que ces secteurs récemment mis au jour pourraient être les quartiers d’habitation du personnel et des artisans dédiés à son entretien. Ceci expliquerait la présence d’ateliers, de cuisines, et de boulangeries", indique l’égyptologue allemand Christian E. Loeben. Non d’une "cité perdue".
Carte de Louxor, l'antique Thèbes, avec la localisation (grand cercle rouge) de l'actuelle zone fouillée en 2021, en relation avec les différents temples limitrophes, et la cité-palais d'Amenhotep III - Malqata (petit cercle rouge). Sur la rive est du Nil, le site de Karnak (cercle blanc). Crédits : Robert Vergnieux pour Sciences et Avenir.
"Quoiqu’il en soit, ces vestiges n’en demeurent pas moins remarquables", tempère Robert Vergnieux. Ils sont en effet associés à un moment particulièrement fascinant de l’histoire de l’Egypte antique connu sous le nom d’épisode proto-amarnien. Soit la fin du règne d’Amenhotep III et l’avènement de celui de son fils Akhenaton, avant que ce dernier n’abandonne Thèbes, pour s’installer à Akhetaton, l’actuelle Amarna. "Le pharaon a fait construire cette ville de toutes pièces en plein désert après avoir proclamé le disque solaire Ankh-Rê-Horakhty-Aton divinité unique de son nouveau culte", poursuit Robert Vergnieux.
Vestiges de murs ondulés de 3400 ans contemporains du règne d'Amenhotep III dégagés en 2020/2021 sur la rive ouest de l'ancienne Thèbes. Crédits: Khaled Desouki/AFP
"Un bonheur pour n'importe quel archéologue"
"Les murs ondulés dégagés dans les fouilles de 1935 et 2021 sont de formes rares et très spécifiques. Il en existe d’ailleurs de semblables à l’est de Karnak, sur l’autre rive du Nil, qui sont représentés sur des Talatats (blocs gravés) des parois du temple qu’Amenhotep IV/AKhenaton avait fait ériger pour le dieu Aton. Karnak, où il a révolutionné l’équilibre religieux de la société égyptienne et la place occupée par le pharaon. On se trouve en réalité avec ces découvertes sur un site contemporain de la transition vers la période amarnienne. Retrouver des vestiges encore en place des quartiers habités par les personnes qui furent acteurs de ces épisodes de l’histoire égyptienne est un bonheur pour n’importe quel égyptologue !".
Poteries et murs ondulés, l'extraordinaire état de conservation d'un site de la XVIIIe dynastie. Crédits: Stringer/Anadolu Agency/AFP
Cette découverte pourrait éclairer des pans méconnus de la vie du roi maudit Akhénaton. Rappelons en effet qu’à sa mort, toutes ses constructions furent détruites et son nom rejeté des listes royales officielles. Ces nouvelles fouilles pourraient contribuer à documenter ses années de jeunesse dont on sait si peu de choses et le moment de son départ pour Amarna, tout autant que le retour à Thèbes de ses successeurs.
Source web Par : sciences et avenir
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