Détection des rayons gamma les plus énergétiques jamais enregistrés
Les rayons cosmiques sont une fenêtre sur la physique des hautes énergies et les phénomènes astrophysiques depuis presque un siècle. Un détecteur sino-japonais, Tibet ASgamma, vient de battre le record d'énergie pour les rayons gamma cosmiques avec une valeur mesurée de 450 TeV.
Cela fait plus d'un siècle, en 1912 précisément, que le physicien autrichien Victor Franz Hess à découvert l'existence des rayons cosmiques à l'aide d'expériences réalisées en ballon. Il observa en effet que le taux d'ions présents dans l'atmosphère augmente avec l'altitude alors que l'on imaginait jusque-là l'inverse, puisque c'est la croûte terrestre qui abrite les éléments radioactifs. Ces mesures en altitude démontraient donc qu'il existait un rayonnement ionisant en provenance de l'espace et frappant les hautes couches de l'atmosphère.
Les décennies suivantes vont être marquées par un intérêt grandissant dans l'étude de ces rayons cosmiques car ils permettaient de découvrir, en étudiant leur composition, de nouvelles particules que l'on ne pouvait pas produire initialement avec les énergies accessibles sous forme de sources radioactives et des premiers accélérateurs de particules. C'est ainsi que l'on découvrit le positron, l'antiparticule de l'électron, et le pion de Yukawa, donnant un début d'explication pour les forces nucléaires collant les nucléons dans les noyaux.
L'étude des rayons cosmiques était également motivée par les renseignements qu'ils étaient en mesure de donner sur leurs sources, nécessairement astrophysiques, voire cosmologiques. Le grand physicien Enrico Fermi, au sortir de la seconde guerre mondiale, s'est beaucoup intéressé à ces questions, à la racine de la physique des hautes énergies modernes et de la jeune discipline des astroparticules.
Une astronomie gamma pour localiser les sources de rayons cosmiques
On cherche en particulier à déterminer précisément la nature des sources et des processus accélérant les particules détectées dans les rayons cosmiques, surtout si elles sont de très hautes énergies. Ces dernières années, cette problématique est devenue encore plus brûlante car on a réalisé que les rayons cosmiques de hautes énergies pouvaient traduire l'existence de la fameuse matière noire qui reste élusive. Mais encore faut-il pour cela identifier des sources beaucoup plus ordinaires, afin de mettre clairement en évidence et sans contestation possible une composante provenant de la matière noire.
La tâche est difficile car une partie de ces rayons cosmiques sont des particules chargées. Elles vont donc subir un mouvement brownien dans les champs magnétiques turbulents du milieu interstellaire de sorte qu'il n'est plus possible de déterminer une direction initiale d'émission. Ce verrou saute si l'on choisit d'étudier des photons gamma car ceux-ci ne sont pas déviés par les champs magnétiques interstellaires, voire intergalactiques. On peut ainsi tenter de vérifier les modèles qui font des trous noirs ou des étoiles à neutrons les sources de certains rayons cosmiques. On peut jouer aussi à ce jeu avec les neutrinos qui sont également électriquement neutres.
Il existe ainsi un instrument, fruit d'une collaboration entre des chercheurs chinois et japonais, nommé Tibet ASgamma qui, comme son nom l'indique, se trouve sur le plateau tibétain et se propose de détecter des photons gamma issus d'au-delà du Système solaire. Comme le montre une vidéo chinoise, des centaines de détecteurs sont répartis sur des dizaines de milliers de mètres carrés à Yangbajain, dans la région autonome du Tibet (sud-ouest de la Chine). Les astrophysiciens et physiciens des hautes énergies, en charge de cette expérience, viennent de faire savoir via un article publié dans Physical Review Letters et disponible en accès libre sur arXiv qu'il avait battu un record en ce qui concerne l'énergie mesurée d'un photon gamma : 450 TeV, ce qui équivaut à 45 milliards de fois l'énergie des rayons X pour un diagnostic médical.
Des photons gamma produits par des électrons relativistes
Ce record est tombé au cours de campagnes d'observation qui ont duré de février 2014 à mai 2017, pendant lesquelles les détecteurs ont observé le réseau 24 rayons gamma allant de 100 à 450 TeV et surtout provenant d'une source bien précise sur la voûte céleste : la nébuleuse du Crabe.
On sait qu'il s'agit, à environ 6.500 années-lumière de la Terre, des restes d'une supernova qui a été observée en 1054 sur Terre, dans la constellation du Taureau. En son cœur se trouve une étoile à neutrons, le fameux pulsar du crabe, qui possède un intense champ magnétique produisant, via des électrons à hautes énergies qui y circulent, un rayonnement synchrotron et radio. En résumé, ce pulsar est un formidable accélérateur de particules produisant des rayonnements de toutes sortes. Le fait qu'il soit une source gamma n'est pas une surprise et dans les grandes lignes on comprend très bien pourquoi. Les électrons relativistes associés à ce pulsar entrent en collision avec les photons environnants, en particulier du rayonnement fossile, selon un processus dit Compton inverse. Les hautes énergies des électrons sont alors transférées aux photons qui deviennent des rayons gamma aux énergies aujourd'hui mises en évidence sur Terre avec Tibet ASgamma, ce qui confirme que des rayons cosmiques sont bien associés à des pulsars dans la Voie lactée.
Le précédent record pour des photons gamma était autrefois détenu par la défunte expérience Hegra (High Energy Gamma Ray Astronomy) réalisée à La Palma (îles Canaries), à savoir 75 TeV contre 450 TeV aujourd'hui. Ce type de recherche va se poursuivre avec des instruments encore plus performants en espérant détecter des sources gamma de 1.000 TeV et plus.
Source web: futura-sciences
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