Kafila, la caravane chamelière qui veut relier le passé du Maroc à son avenir (Géoparc Jbel Bani)
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Kafila, la caravane chamelière qui veut relier le passé du Maroc à son avenir (Géoparc Jbel Bani)

Du 1er mars au 31 mai 2020, une caravane scientifique et culturelle constituée sous le nom de Kafila, traduction arabe du mot caravane, traversera le Maroc depuis le grand désert du Sahara jusqu’aux rives de l’océan Atlantique.

La caravane est depuis les temps anciens l’objet mythique idéal qui aura porté les aspirations les plus essentielles de l’humanité. L’aspiration au voyage, à la découverte, à la conquête, l’aspiration au commerce et tant d’autres encore. Mais c’est l’étymologie même de son nom qui nous fait plonger au cœur profond de nos origines en tant que communauté humaine puisque le mot caravane provient en effet du persan kervan qui signifie « groupe de voyageurs ».

Les premiers humains qui un jour se sont mis ensemble pour partir à la découverte de toutes les terres inconnues ont fait vivre la première des caravanes. A pied, à cheval, en chameau ou bien dromadaire, les humains, insatiables, n’ont eu de cesse de se déplacer au travers les immenses étendues qui s’offraient à eux et qui ensuite ont séparé leurs diverses communautés installées au fil des ans et des siècles tout du long des territoires parcourus.

Si l’on regarde aujourd’hui ces temps d’autrefois, et au-delà de ces aspirations radicales qui ont pu à chaque fois motiver la prise de risque de ces groupes de voyageurs pour ainsi partir en terre inconnue dans un périple forcément plein de danger, toutes ces caravanes qui ont jalonné l’histoire nous font voir la trame intime de l’aventure humaine faite de défis, de tragédies et de héros, et de rêves sans cesse renouvelés.

Kafila

La caravane est indissociable de l’aventure humaine

Et l’on revoit les Grecs, les Phéniciens ou les Romains qui traversaient l’aridité du désert pour satisfaire leur soif de conquête et de découverte. On pourrait entendre Pline l’Ancien nous décrire le trajet des soldats de Rome à la poursuite des guerriers berbères Garamantes sur la route des quarante jours, la Praeter caput saxi, qui reliait la Méditerranée au lac Tchad en traversant le Sahara.

On aimerait accompagner Arthur Rimbaud et s’élancer avec lui dans le désert de Somalie pour rejoindre le Harar en Ethiopie et y vendre notre cargaison de « peaux, café, ivoire, or, parfums, encens et musc … ». On aurait trouvé mille raisons pour avoir une petite place dans la caravane qui prit son départ en 1352 depuis la cité médiévale de Sijilmassa et ainsi être témoin des pérégrinations de l’explorateur marocain Mohammed Ibn Batoutah qui nous emmènera alors jusqu’à la capitale de l’Empire du Mali après un voyage de plus de mille kilomètres. Près d’un siècle plus tard, notre bonheur aurait été complet en assistant Hassan Al Wazzan, plus connu sous le nom de Léon l’Africain, dans sa prise de note méticuleuse lors de tous ses périples au travers l’Afrique en vue de la rédaction future de sa Cosmographia Dell’Africa.

Esmoutillés par les récits d’Ibn Batoutah, nous n’aurions pas manqué de relever le défi lancé par la Société Géographique de Paris d’accorder une généreuse dotation au premier européen qui serait revenu de la cité légendaire de Tombouctou ; et nous aurions fait comme l’explorateur et écrivain français René Caillié après avoir atteint la cité du Mali, comme il le fit le 20 avril 1828 au terme d’un long et difficile périple : une caravane nous aurait ensemble ramené jusqu’à Fès après quatre-vingt-dix-huit jours de marche.

Et c’est encore en caravane avec Alexandra David-Néel que nous aurions été en 1922 les premiers occidentaux à pénétrer le désert de Gobi pour aller à la rencontre des mystères alors méconnus des spiritualités du Tibet.

Jusqu’à très récemment, et depuis plus de onze mille ans, la caravane fut indissociable de l’aventure de notre humanité, dans son expansion géographique comme dans son développement civilisationnel, dans l’évolution de la biodiversité et donc dans la transformation des environnements de vie.

Ici en Afrique, dans le grand désert du Sahara, le plus vaste de notre planète, les pas lents des dromadaires auront rythmé tout du long de chacun de leurs déplacements le tissage rituel des atrocités et des merveilles dont l’humain est devenu l’artisan expert. Les caravanes transsahariennes transportèrent ainsi dans une égale humeur autant les esclaves que l’or, les dattes, le sel, les épices, comme le safran, ou encore la rose de Kelaa M’Gouna depuis les plaines de Syrie. Ces caravanes mirent en mouvement autant les soldats avides de pouvoir que les explorateurs, les savants, les géographes, les écrivains ou les pèlerins.

La caravane exprime un art d’être au monde

Tous, réunis le temps du voyage, ne faisaient alors plus qu’un. Ils étaient le Karvan, la Kafila, le groupe de voyageurs en partance pour un ailleurs. A chaque étape, après une marche harassante sous les chaleurs torrides, les gestes étaient toujours les mêmes. Mettre les animaux au repos, monter le camp, préparer un maigre repas et boire le thé fort et sucré du désert en se racontant le chemin parcouru, et en imaginant le suivant à franchir. Dormir en admirant le monde intouchable de l’espace empli de ses étoiles. Et repartir en silence pour une autre journée d’effort, jour après jour, et jusqu’à l’étape intermédiaire où le caravansérail permettait un repos plus affirmé, là où les discussions pouvaient reprendre entre les voyageurs pour mieux se connaitre, là où les échanges avec les habitants locaux se faisaient naturels car les enfants gaiement seraient venus à la rencontre.

Plus qu’un mode de voyage, la caravane illustre un art d’être au monde : en mouvement, en humilité face à la puissance de la Nature, en appétit de rencontre et en curiosité de découverte.

C’est à tout cela que la caravane Kafila se propose de redonner vie. Fidèle au modèle des caravanes de jadis, Kafila réactivera ce lien dynamique entre le Sud et le Nord, entre l’Orient et l’Occident, ces chemins des migrations ancestrales, des échanges commerciaux et du parcours historique des savoirs et des cultures.

kafila-carte

Cette caravane de dromadaires, encadrée par les professionnels de l’agence Désert et Montagne Maroc fondée et dirigée par Jean Pierre Datcharry, réunira des scientifiques, des artistes, marocains et étrangers, ainsi que des amoureux de la randonnée pédestre pour un parcours de trois mois à travers les paysages du Maroc et à la rencontre de l’histoire et des populations. Elle partira de Foum Zguig pour traverser les étendues de sable du Sud Est Maroc, remontera la vallée du Drâa et ses palmeraies, aboutira à Ouarzazate au pied des montagnes, passera les cols de l’Atlas juste après la fonte des neiges. Elle fera ensuite escale à Marrakech pour livrer ses richesses sur la place Jemaa El Fna comme le faisaient jadis les anciennes caravanes, et enfin les voyageurs poursuivront jusqu’à la côte, à Essaouira, comme destination finale.

Lors de chacune des 11 étapes, des conférences et expositions seront organisées pour aborder les thématiques liées au parcours : les gravures rupestres, l’eau source de vie, l’observation des étoiles, les énergies renouvelables, les mysticismes du désert, les oiseaux migrateurs, l’architecture en terre … L’Institut Français du Maroc, partenaire de cette audacieuse initiative, organisera des résidences itinérantes d’artistes qui rejoindront la caravane au cours de ses différentes étapes. Dans le même esprit, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Centre Jacques-Berque (Unité mixte des Instituts français de recherche à l’étranger), tous deux établis à Rabat, impliqueront des scientifiques qui se joindront à l’aventure Kafila.

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Dans une caravane, le moins rime avec le mieux

Hormis l’expérience singulière à vivre qui est proposée aux participants, la caravane Kafila porte l’intention de mettre en lumière aux yeux de tous deux sujets d’importance pour l’avenir du Maroc.

Le premier message de cette caravane est de montrer que l’économie du tourisme au Maroc aurait tout intérêt à favoriser la découverte de la dimension historique du pays et de son peuple pour ainsi sortir des thématiques actuelles trop standardisées. En cela, le grand passé du Maroc, sa préhistoire, son antiquité comme son moyen-âge, foisonnent de belles histoires à raconter, de personnages à mettre en valeur, de lieux et territoires à mettre en lumière. Il devrait être organisé une découverte plus fine de ces temps historiques et de toutes les communautés humaines qui ont contribué à la constitution de l’identité du Maroc.

Le visage du Maroc est composé en effet de plusieurs facettes qui, si on prend le temps de bien les observer, scintillent du visage de notre humanité. Découvrir aujourd’hui le Maroc au rythme d’une caravane est à l’image de ce que vivaient les humains d’autrefois répartis dans les communautés berbères, indo-européennes, nordiques, juives, arabes, subsahariennes qui siècle après siècle ont traversé et séjourné dans ses territoires.

Enfin le second message exprimé par l’usage de la caravane ainsi remise au gout du jour via l’initiative Kafila est que le Maroc, grâce à ses territoires, à ses traditions encore pleinement vivantes au sein de ses communautés humaines, peut offrir l’expérience d’une certaine lenteur à vivre le voyage, l’expérience de prendre le temps de la découverte. En notre époque actuelle où règne l’instant éphémère, l’idée du moins qui peu à peu s’impose dans les consciences de nos sociétés ici trouve sa rime avec l’idée du mieux.

Voyager moins, moins souvent, moins vite, mais voyager mieux, plus en profondeur auprès des territoires et des communautés qui nous accueillent, à la rencontre vraie de leurs identités, et donc de leur histoire.

Le 23 janvier 2020

Source web par : sud est maroc

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