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#MAROC_Immersion_dans_les_sublimes_oasis_du_Sud_marocain

Dans le Sud marocain, palmiers, acacias, mimosas et bougainvilliers plantés autour des villages résistent aux dunes qui dévorent tout. Leurs anges gardiens : des habitants pleins d’imagination. Les seigneurs du désert, les vrais.

D'une main experte, Ibrahim Sbai, 43 ans, petit-fils de caravanier, extirpe le pain du sable où il a été enseveli et mis à cuire, sous le foyer. A l’aide d’un torchon, il élimine les grains restés collés à la croûte. Des gestes que tant de Touareg ont accomplis avant lui. Mhamid el-Ghizlane, bourgade à 460 kilomètres au sud-est de Marrakech, aux confins de la frontière maroco-algérienne, est à sept kilomètres de là. Autour du campement, établi au milieu des dunes, s’étend la dernière oasis de la vallée du Draa. L’été, les températures avoisinent les 45 °C mais le réchauffement climatique est à l’œuvre et «des pics à 60 °C ont déjà été enregistrés », assure Ibrahim. Le Draa qui, avec ses 1 100 kilomètres, est le plus long fleuve du Maroc, n’est ici plus qu’un lit de cailloux… quand il ne déborde pas sous l’effet de pluies torrentielles. Plus de route goudronnée. Juste une mer de dunes blondes… qui avancent.

Des palmeraies à préserver à tout prix          

Le Sud marocain abrite des centaines d’oasis, réunies en une réserve de biosphère reconnue depuis 2000 par l’Unesco. Parmi elles, celles de la vallée du Draa, un couloir vert émeraude serti de casbahs (citadelles) et de ksour (villages fortifiés) au flanc des collines, mais aussi la plus grande oasis du monde, dans la région de Tafilalet : cerné de montagnes nues, un chapelet de palmeraies sur 77 000 kilomètres carrés, au creux des vallées du Ziz et du Ghéris. Une terre qui occupe une place à part dans le cœur des Marocains car elle est la patrie de la reine berbère Tin Hinan, tenue pour être l’ancêtre de tous les Touareg. Au Moyen Age, quand la province était au carrefour du commerce entre l’Afrique de l’Ouest et la Méditerranée, l’or et les épices transitaient par la luxuriante cité de Sijilmassa (Rissani). Mais aujourd’hui, partout dans ce Sud marocain, le désert menace l’équilibre fragile des oasis. «Le pays est en train de perdre un élément de son patrimoine naturel vieux de deux mille ans, déplore Brahim Jaafar, directeur de l’organisme public en charge des projets de développement de la région de Draa-Tafilalet. Avec leurs deux millions d’habitants, les oasis marocaines jouent aussi un rôle social, écologique et économique majeur, elles qui ont toujours été un moyen d’échapper à la pauvreté.» En un siècle, les deux tiers des oasis du pays ont péri et, si rien n’est fait, ces espaces naguère florissants disparaîtront, ont même alerté les autorités marocaines lors de la COP 22 à Marrakech en 2016. De fait, depuis quinze ans, quantité de projets ont cherché à sauver ces îlots de verdure. Et, officiellement, de 3,2 millions en 2009, le nombre de palmiers a grimpé à environ 5 millions en 2019. Paris gagné ?

Dans les années 1940, le grand-père d’Ibrahim Sbai allait jusqu’à Tombouctou, où il échangeait dattes et céréales contre du sel, de l’or… Son père, lui, contribua à creuser les canaux d’irrigation de l’oasis et à planter des dattiers dont les fruits lui assuraient une certaine prospérité. «C’était une autre époque, constate Ibrahim, à qui le chèche, meilleur paravent face au sirocco et autres vents qui irritent les yeux et la gorge, donne des allures de prince du désert. Les arbres n’avaient pas encore été attaqués par le bayoud, un champignon qui décime aujourd’hui les dattiers. Avec mes frères, on allait se rafraîchir dans l’oued et on apercevait des flamants roses, des cigognes. A présent, on ne croise plus ces oiseaux, ni les fennecs ou les chacals pas plus que les varans. Toute cette faune s’est, au mieux, raréfiée, au pire a disparu.» Disparues aussi les gazelles qui ont donné leur nom à Mhamid elGhizlane («plaine des gazelles», en arabe). Il n’y a pas si longtemps, des troupeaux sauvages venaient même étancher leur soif dans cette oasis luxuriante. Terminé. Il n’y a plus assez d’eau. «On dit que les nomades sont les fils des nuages, c’est-à-dire qu’ils les suivent, remarque Ibrahim. Les animaux sont pareils, ils vont là où il y a de l’eau, sinon ils meurent.»

Vivre comme des nomades : une expérience proposée aux touristes

Ce désastre a poussé un quart des habitants à aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs. Ibrahim Sbai, lui, tient bon. En 1999, il a choisi de monter au milieu des dunes un bivouac qu’il destine aux voyageurs désireux de vivre quelques jours comme les nomades : une quinzaine de «chambres» en pisé (terre crue), au toit en toile recouverte de poils de chameaux et disposées en cercle. Des panneaux solaires fournissent l’eau chaude, il y a des toilettes sèches et, le soir, c’est éclairage à la bougie. «On s’est installés là où se tenait jadis un moussem (une fête annuelle) pour célébrer l’abondance des récoltes, explique Ibrahim. Depuis 1994, avec l’intensification de la sécheresse, les gens n’ont plus rien à fêter.» Le havre de verdure autour de Mhamid elGhizlane s’est réduit comme peau de chagrin. Des trente-sept kilomètres carrés recensés dans les années 1980 ne subsiste qu’un tiers. Le reste ? Dévoré par les dunes. Pourtant, pas question de se résigner. Durant leur séjour, les hôtes d’Ibrahim en apprennent beaucoup sur la vulnérabilité des oasis et peuvent participer à la revégétalisation en plantant, moyennant un minimum de dix euros par pied, acacias, tamaris, mimosas, rosiers, lauriers roses, bougainvilliers ou grenadiers. Et, il y a dix ans, Ibrahim a fondé avec l’un de ses frères un festival annuel de musique nomade, Taragalte. Son frère a depuis quitté l’aventure, découragé par les pluies torrentielles et les tempêtes de sable qui se sont abattues lors de deux éditions consécutives. Mais Ibrahim poursuit en solo et, chaque mois de novembre, son bivouac se transforme en résidence artistique internationale où des mélodies qui puisent leurs sources dans le Sahara se mêlent aux sons du blues, du rock et du jazz. C’est dans ce cadre que la chanteuse marocaine Oum a choisi, en 2015, d’enregistrer un album en plein air, avec le chant des oiseaux et le souffle du vent en invités impromptus. Sous le regard de dromadaires qui, eux, se sont aimablement abstenus de blatérer.

D’autres habitants ont pris le chemin des grands ensembles urbains ou de l’étranger. A quelques kilomètres, l’ancien Mhamid (Mha mid elBali) s’est vidé. Le ksar (village fortifié) n’abrite plus qu’une soixantaine de familles qui tentent de joindre les deux bouts. Les femmes tissent des tapis dans le cadre de Carpet of Life. Ce projet, soutenu par une association néerlandaise, rassemble une centaine de villageoises de sept douars (hameaux) qui confectionnent, à partir de vieux vêtements, les fameux tapis boucherouites («chiffons»). «Avec des habits usagés, elles tissent un tapis unique, explique Ibrahim Sbai. Une démarche typiquement nomade : on ne jette rien, on recycle.»

Faire revivre les ksour, ces villages fortifiés

A 340 kilomètres de route en direction du nord, dans l’immense oasis de Tafilalet, les femmes se sont spécialisées dans d’autres travaux. A Ferkla, sur 2 800 hectares, elles sèment et récoltent carthame, safran, persil et graines de nigelle. «Nous avons appris à valoriser ces plantes et nous générons plus de revenus qu’autrefois », témoigne l’une d’elles, Fatima Moutawakil, 58 ans, bénéficiaire du Programme des oasis du Tafilalet. Directement ou indirectement, 300 000 habitants des communes de la région ont profité de ces mesures mises en place de 2006 à 2016 pour lutter contre la désertification et la pauvreté. «Les femmes se consacrent aux cultures qui exigent minutie et patience, et les hommes, aux tâches requérant de la force», explique Hmad Ben Amar, 47 ans, qui gère une maison d’hôtes à Tinejdad, un village fortifié tout proche. Lui non plus n’a pas voulu exercer le métier de son père, modeste cultivateur. D’abord tenté par l’eldorado européen, il a, après douze ans en Catalogne, fini par rentrer. Par amour pour les ksour qu’il voudrait empêcher de tomber en poussière. A Tinejdad, où il est né, certaines familles étaient parties, mais il les a convaincues de revenir, en œuvrant pour la création d’une coopérative féminine, de salles de classe, pour l’amélioration des conditions d’hygiène, ou encore la restauration des parties du ksar qui tombaient en ruine. Grâce à lui, quatre-vingt-huit foyers sont établis au village et les enfants sont scolarisés sur place.

Ici, la végétation reste plus luxuriante que du côté du Draa, pourtant la vigilance reste de mise. Hmad Ben Amar s’attache à expliquer aux villageois que certaines pratiques agricoles et la mauvaise gestion de l’eau ont une part de responsabilité dans la raréfaction de la ressource. «Ceux qui se sont creusé un puits et ont pompé à outrance sont largement responsables de l’épuisement de la nappe phréatique, insiste-t-il. L’époque est à l’individualisme et au mépris de la sagesse des anciens. » Naguère, les habitants des oasis désignaient l’un d’entre eux pour occuper la fonction de «maître de l’eau». Son rôle ? Veiller à ce que chacun irrigue équitablement son champ sans gaspiller la moindre goutte. «Il gérait le pompage, entretenait les canaux, réglait les litiges, rappelle Hmad Ben Amar. Mais cette organisation est remise en cause par les moto-pompes individuelles. Aujourd’hui, rares sont les oasis où officie encore un maître de l’eau. La fonction existe surtout dans les villages difficiles d’accès, comme Aguinane, à 480 kilomètres de là, en direction d’Agadir, où, en cas de litige, la coutume locale prime le droit écrit.

L’esprit de l’oasis, fondé sur la collectivité, se serait-il définitivement perdu ? Heureusement, pas complètement. En 2015, un groupement de sept coopératives agricoles, composé de 122 femmes et 75 hommes, a aménagé une pépinière où seize espèces de végétaux ont été semées avant d’être transplantées dans leur milieu définitif à Ferkla. Et puis, il y a la «route du Majhoul », un itinéraire pour voyageurs amoureux de paysages et d’histoire, qui relie des casbahs ocre nichées dans les palmeraies du Tafilalet avec, en fond, l’azur du ciel. Le circuit, jalonné de neuf auberges, des maisons traditionnelles restaurées qui arborent un label «clé verte», garantie de leur démarche environnementale, mène vers les canyons aux roches rouge orangé de l’oued Ziz, au nord, vers les dunes rousses de Merzouga, au sud, où l’on traite ses rhumatismes en s’ensevelissant dans le sable chaud. Il conduit également aux jardins de Rissani – l’ancienne capitale du Tafilalet – qui entourent le mausolée Moulay Ali Cherif où sont enterrés les anciens sultans alaouites, la dynastie qui règne encore au Maroc. Le long de la route du Majhoul, mille et un projets s’efforcent de conjurer le sort. Seront-ils efficaces ? Majhoul est, certes, le nom de la meilleure variété de dattes de la région… Mais en arabe, c’est aussi «l’inconnu».

Le 08/04/2020

Source web Par : geo

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