Surpâturage : Les Soussis et les nomades face à un ennemi commun (Géoparc Jbel Bani)
Depuis le début du confinement sanitaire, la Toile est secouée par des vidéos montrant des agressions contre les habitants de la région Souss-Massa.
Pendant des siècles, les nomades sont connus, pour leur cheptel, composé de bovins, ovins, caprins et dromadaires, limité en nombre, pour leur hospitalité et pour leur sens de solidarité dont ils font preuve envers leur hôte, en l’occurrence, les habitants des régions où ils pratiquent le pâturage.
Or, depuis la fin du mois de mars, quelques jours après le début du confinement sanitaire, plusieurs villages de la région de Souss-Massa ont rapporté la présence massive de troupeaux, détruisant sur leur passage les terres agricoles, d’argan principalement.
« Le confinement est une aubaine pour des bergers dont nous ignorons l’origine. Ils profitent de l’absence des villageois pour emmener pâturer leur bétail sur des terres privées », témoigne M. Abdellatif Sayed, un des habitants de la province de Chtouka Aït Baha et représentant du réseau des associations de la réserve de biosphère arganeraie de la province. Il ajoute qu’ils vivent dans l’insécurité et sont exposés à la violence de la part de certains bergers, venus principalement du Sud du royaume. C’est du jamais vu dans notre région », regrette-t-il.
Est-ce vraiment des nomades ?
Le nomadisme a depuis toujours été réglementé. “Les nomades sont soit des familles qui se déplacent avec une tente et un petit troupeau, soit un seul berger “aâzeb” qui bouge avec son petit troupeau, qui n’échappe pas aux rites des nomades, nous explique Pr Mustapha El Qadery, chercheur enseignant à l’Université Mohammed V de Rabat. Le pâturage des nomades régi par un codex dénommé “agdal” qui définit les dates du début et de la fin des campagnes de pré, est une opération organisée et supervisée par les chefs des tribus, appelées “Chikh” ou “Amghar”. Toute personne enfreignant le code de conduite est sanctionnée. Les habitants du village lui réclament un dîner collectif, assez coûteux, selon Pr El Qadery.
Compte tenu des caractéristiques des vrais nomades, la question qui reste donc posée est celle de savoir à qui appartiennent les “agresseurs”, confondus avec les nomades, accusés par les Soussis de violence et d’avoir détruit une vie végétale déjà rare dans la région. Ce qui est sûr est que ces abus ne relèvent pas du nomadisme. Nous assistons à une sorte d’élevage intensif, imposé avec violence, contre une région de l’anti- Atlas, connue pour l’immigration des habitants, la dureté de la vie et l’absence de programmes de développement de montagnes, affirme El Qadery.
'la faute du troupeau vient du berger'
Selon le porte-parole de la Coordination “Akal pour la défense du droit de la population à la terre”, M. Hammou Hasnaoui, les éleveurs nomades ne sont pas derrière les violences subies par les habitants de Souss. Il soupçonne une “Mafia” de bergers relevant d’investisseurs étrangers.
Bien que la loi 113.13, régissant la transhumance pastorale, la gestion et l’aménagement des espaces pastoraux, promulguée en avril 2016, existe, elle est rejetée massivement par les habitants de la région et par les nomades.
La loi 113.13, que les paysans de Souss- Massa considèrent comme un permis de violer la propriété terrienne privée, délivré aux vandales du nomadisme sauvage est également jugée non conforme aux dispositions de la Constitution qui protège ce droit pour tous les Marocains. “Cette loi n’est pas la solution à cette crise naturelle et humaine. Pour s’en sortir, les autorités doivent assurer la sécurité des villageois et la protection de leurs propriétés. Le ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime doit leur interdire de pâturer dans la région de Souss-Massa particulièrement”, nous déclare M Hassnaoui.
Désarmées face à la recrudescence des plaintes déposées par les habitants et par les associations les représentant, ou suivant des ordres, les autorités locales de la région n’interviennent actuellement que pour rappeler les mesures de confinement et de couvre-feu aux villageois.
Safaa KSAANI
3 questions à Hammou Hasnaoui
« La loi 113.13 est rejetée par les habitants et par les nomades »
- Le Porte-parole de la Coordination “Akal pour la défense du droit de la population à la terre” nous explique les raisons du retard de l’application de la loi 113.13.
- Quelles sont les failles de la loi 113.13 régissant la transhumance pastorale, la gestion et l’aménagement des espaces pastoraux ?
- Plusieurs failles sont à énumérer dans cette loi. Principalement, elle est venue imposer le pâturage de force sur ces espaces et légaliser la violation de la propriété terrienne privée, non conforme aux dispositions de la Constitution qui protège ce droit. Par ailleurs, cette loi veut classer l’arganier comme un arbre forestier, ce qui est impossible puisqu’il y a un Dahir spécifique qui régit son exploitation. Le but est d’acquérir les terres dans la région au profit de la “Mafia” des bergers.
- Cette loi, promulguée en avril 2016, est restée toujours encre sur papier. Pourquoi ?
- La loi 113.13 n’est pas encore appliquée pour deux raisons. D’une part, les dispositions de cette loi sont catégoriquement rejetées par les habitants de la région de Souss Massa et par les vrais nomades du royaume. De l’autre, l’Etat sait très bien que c’est une loi vouée à l’échec. Nous n’avons pas besoin de cette loi puisque les rites liant les nomades aux habitants des zones pastorales sont suffisants.
- Quelles sont les solutions à mettre en place et à développer dans les régions souffrant du surpâturage ?
- Une seule solution existe pour résoudre cette crise. Les autorités doivent assurer la sécurité et la protection des biens des villageois, et le Ministère de l’Agriculture et de la pêche maritime doit mettre fin au surpâturage.
Le 12 Mai 2020
Source web Par : lopinion
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