L'écrevisse marbrée, une nouvelle espèce terriblement invasive, se reproduit sans mâle
Sans doute apparue il y a une trentaine d'années dans un aquarium en Allemagne, cette nouvelle espèce d'écrevisse se répand en Europe, mais aussi à Madagascar et au Japon. Étonnamment, tous les individus sont des femelles et proviennent de la même écrevisse, qui a par hasard hérité de caractères génétiques très particuliers. Se reproduisant sans mâles, ces crustacés forment désormais un immense peuple de clones à travers le monde. Leur cas, unique, pourrait même inspirer des traitements contre le cancer. Curieux, vraiment.
L'écrevisse marbrée Procambarus virginalis a commencé à intéresser les amateurs d'aquariophilie dans les années 1990. Dans son aquarium, elle pond chaque année des centaines d'œufs sans s'accoupler, donnant naissance à une descendance femelle qui fait de même. Seule la parthénogenèse, une forme de reproduction qui ne nécessite pas de mâles, peut expliquer ce phénomène.
Pour en savoir plus, des chercheurs du centre de recherche sur le cancer d'Heidelberg en Allemagne ont voulu séquencer l'animal, une tâche qui s'est révélée assez ardue. Aucun génome d'écrevisse n'avait encore été séquencé. Curieusement, chez les crustacés qui sont pourtant des animaux d'intérêt économique, les deux seuls génomes séquencés sont ceux de la daphnie (Daphnia pulex) et de l'amphipode Parhyale hawaiensis, ressemblant à un gammare.
Les scientifiques ont assemblé des portions de génome pour le cartographier. Ils ont aussi séquencé des ADN d'individus venant de la nature. D'après leurs résultats parus dans Nature ecology and evolution, le génome compte 3,5 x 109 paires de bases et plus de 21.000 gènes. Grosse surprise : la totalité de la descendance de l'écrevisse marbrée est génétiquement identique et forme un clone. Seules des mutations ponctuelles ont été détectées çà et là dans le génome. Frank Lyko, un des auteurs de ces travaux, a expliqué dans un communiqué : « nous n'avons pu détecter que quelques centaines de variants dans un génome plus grand que le génome humain. C'est un nombre incroyablement petit ».
Toutes les écrevisses marbrées descendraient de la même femelle qui serait issue d'un accouplement d'écrevisses de l'espèce Procambarus fallax, venant de Floride. Au cours de ce croisement, un des deux parents aurait fourni un gamète (ovule ou spermatozoïde) avec un nombre anormal de chromosomes : ce gamète diploïde (AA'), avec deux jeux de chromosomes au lieu d'un seul, a fusionné avec un gamète normal, haploïde (B), avec un seul lot de chromosomes. La cellule-œuf obtenue était triploïde et avait trois copies de chaque chromosome (AA'B), au lieu de deux.
Ne relâchez pas vos écrevisses d’aquarium dans la nature ! © Roman Pyshchyk, Fotolia
Des écrevisses triploïdes qui forment un clone
Ce nouvel individu triploïde n'a pas eu de problème pour se développer. Il avait la chance d'avoir un haut niveau d'hétérozygotie, car ses deux parents devaient être assez éloignés. L'hétérozygotie et la triploïdie ont pu lui donner un avantage évolutif, en limitant le risque de mutations délétères et en augmentant sa capacité d'adaptation. L'écrevisse a pu se reproduire par parthénogenèse, utilisant ses cellules pour former de nouveaux embryons. Parfois, les écrevisses marbrées s'accouplent avec des mâles mais elles ne donnent jamais de descendants issus d'une reproduction sexuée.
L'écrevisse marbrée s'est répandue dans le monde par le commerce d'animaux d'aquariophilie et par des lâchers sauvages dans la nature. Non seulement les écrevisses provenant d'aquarium peuvent s'installer dans la nature, mais en plus elles semblent se propager rapidement. L'écrevisse est arrivée à Madagascar en 2007 et menace aujourd'hui les populations autochtones d'écrevisses.
Dans une autre partie de l'étude, un scientifique de Madagascar a étudié l'expansion de l'écrevisse. La population de Madagascar était homogène et similaire à celles des écrevisses allemandes. En plus de Madagascar, les écrevisses marbrées se trouvent aujourd'hui en Allemagne, au Japon et en Suède. Elle semble s'adapter facilement au milieu malgré l'absence de reproduction sexuée et de diversité génétique. Les chercheurs font l'hypothèse que ceci est possible grâce à des modifications épigénétiques.
Enfin, les caractéristiques génétiques de l'écrevisse marbrée intéressent particulièrement les chercheurs qui travaillent sur les mécanismes à l'origine du cancer. Comme les écrevisses forment un clone, elles peuvent, tout comme une tumeur, être utilisées comme modèle d'étude. Les tumeurs s'adaptent parfois à leur environnement, par exemple en développant une résistance à un médicament anticancer. Des mécanismes épigénétiques seraient là aussi en jeu et influenceraient le développement de la maladie.
Publier le 07/02/2018
Source Web: futura-sciences
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