De mystérieux nuages de poussière découverts en orbite autour de la Terre
La Lune n'est pas seule. Deux compagnons faits de poussières lui emboîtent le pas sur son orbite autour de la Terre. Véritables fantômes, ces nuages dits « de Kordylewski » échappent aux astronomes depuis plus d'un demi-siècle. Mais des scientifiques hongrois viennent finalement de mettre le doigt dessus. Gábor Horváth et Judit Slíz-Balogh ont partagé avec Futura les secrets de leur découverte.
Deux « satellites » insaisissables tournent impunément autour de notre planète à environ 400.000 km au-dessus de nos têtes, soit sur la même orbite que notre bonne vieille Lune. Observés pour la première fois en 1961 par l'astronome polonais, Kazimierz Kordylewski, dont ils ont pris le nom mais théorisés quelques années auparavant, ces nuages de poussière évoluent aux points de Lagrange L4 et L5 du système Terre-Lune.
Leur existence était jusqu'à récemment entachée de controverses car « ce sont des phénomènes extrêmement ténus [et qui] dépendent énormément des conditions météorologiques », précisent à Futura Gábor Horváth et Judit Slíz-Balogh de l'université Eötvös Loránd, en Hongrie. « Toutes les précédentes observations ont été réalisées par photométrie (photographie ordinaire) et à l'œil nu. [Elles] ont livré des résultats ambigus et controversés, par exemple un léger scintillement. »
Cependant, en utilisant une méthode d'observation tout à fait inédite, ces chercheurs et un troisième collègue, András Barta, viennent de confirmer que ces nuages étaient bel et bien réels. Ils ont fait part de leur découverte dans deux publications parues en septembre et octobre dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.
Les nuages de Kordylewski, des sortes de satellites naturels de la Terre, sont des amas de poussière en orbite autour de notre planète à la même distance que la Lune. Leur existence, controversée depuis plus d’un demi-siècle, vient d’être confirmée par des observations inédites et effectuées par imagerie polarimétrique. Ici, une vue d’artiste du nuage de Kordylewski au point de Lagrange L5 du système Terre-Lune. © Gábor Horváth
Des nuages de poussière concentrés aux points de Lagrange
Mais d'où viennent ces nuages ? Dans le système Terre-Lune, il existe deux points de stabilité où les forces gravitationnelles se compensent et maintiennent dans une immobilité relative les objets qui se situent en ces points : ce sont les points de Lagrange L4 et L5. Ils forment un triangle équilatéral avec la Terre et la Lune et tournent donc autour de notre planète en même temps que celle-ci. « Des particules de poussière interplanétaire peuvent s'y retrouver piégées », expliquent Gábor Horváth et Judit Slíz-Balogh. Par conséquent, les nuages de Kordylewski sont au nombre de deux : un en chacun des points L4 et L5.
« Nous avons observé le nuage L5 », déclarent les chercheurs. Pour ce faire, ils ont tout d'abord modélisé leur formation, leur comportement et leur apparence pour savoir comment les détecter. « Un nuage de poussière est une structure dynamique. Les particules changent constamment : certaines s'échappent, d'autres sont capturées. La formation elle-même est permanente, mais sa forme et sa concentration évoluent tout le temps », nous informent Gábor Horváth et Judit Slíz-Balogh. Nous avons montré que l'amas de poussière peut exister pendant de nombreuses années au point de Lagrange L5. »
Les chercheurs hongrois ont constaté la présence du nuage de Kordylewski au point de Lagrange L5 du système Terre-Lune par imagerie polarimétrique. Cette image montre l’angle de polarisation de la lumière dans la région du ciel autour du point L5. Le centre du nuage se manifeste par la concentration de pixels rouges. Les lignes noires correspondent aux trajectoires de satellites. © Judit Slíz-Balogh
La détection des nuages de Kordylewski par imagerie polarimétrique
En effectuant les simulations informatiques, les chercheurs se sont tout particulièrement penchés sur les caractéristiques de la lumière diffusée et réfléchie par les nuages de Kordylewski, à savoir l'angle et le degré de polarisation (proportion de la lumière qui est polarisée). En effet, « la lumière du Soleil non polarisée se polarise partiellement linéairement en étant dispersée par les particules de poussière », expliquent Gábor Horváth et Judit Slíz-Balogh.
« La particularité de nos observations est l'application de l'imagerie polarimétrique, qui "rend visible ce qui est invisible" », indiquent les chercheurs, qui se disent surpris que personne n'y ait songé auparavant. À l'observatoire privé de Judith Slíz-Balogh, à Badacsonytördemen en Hongrie, l'équipe a appliqué sur le télescope trois filtres différents, polarisés linéairement, et a ainsi pu faire « plusieurs observations qui confirment l'existence de ce nuage. » Dans les données et les images de la lumière polarisée qu'ils ont obtenues, « l'existence du nuage de poussière était évident ».
Mosaïque d’images représentant l’angle de polarisation de la lumière dans la région autour du point L5. Les différentes images correspondent au champ de vision du télescope utilisé pour les observations. On dénombre au total deux nuages de Kordylewski, l’autre étant situé au point L4. Les chercheurs précisent qu’ils mesurent environ 100.000 km sur 70.000 km et qu’ils sont composés de toutes les particules imaginables provenant de la poussière interplanétaire. © Judit Slíz-Balogh
« Nous avons pour la première fois pu détecter la signature de la polarisation (degré et angle) du nuage de Kordylewski autour du point L5 », affirment les chercheurs. Il s'agit bien d'un seul nuage, même si sa « structure hétérogène avec plusieurs maximums de concentration » donne l'impression qu'il est fragmenté.
Concernant leur découverte, les chercheurs se disent « très contents », car ce résultat est l'apogée d'une traque longue de six mois, pendant laquelle ils ont guetté des conditions d'observation idéales. Certains de l'existence des nuages de Kordylewski, les chercheurs appellent maintenant d'autres astronomes à corroborer leurs observations à l'aide de télescopes au champ de vision plus large que le leur. Ils sont, quant à eux, déjà lancé sur la piste du second nuage, celui du point L4.
Source web par: futura sciences
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