Les peintures rupestres représenteraient des constellations
Le sens des superbes représentations d’animaux peintes sur les parois des grottes d’Altamira, de Lascaux, de Chauvet ou encore gravées à Göbekli Tepe, le plus vieux temple connu au monde, nous reste encore très mystérieux. Deux chercheurs, qui ont mené un important travail d’enquête, arrivent à la conclusion qu’ils figurent des constellations. Et ils ajoutent que nos ancêtres du paléolithique supérieur pratiquaient une astronomie complexe.
Il a fallu du temps à l’humanité contemporaine pour accepter que les peintures recouvrant les parois de la grotte d’Altamira, découvertes en Espagne à la fin du XIXe siècle, étaient bien l’œuvre de leurs ancêtres du paléolithique. Et encore jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, nombreux étaient ceux qui n’acceptaient pas que ces Hommes venus s’installer progressivement dans toute l’Europe durant l’ère glaciaire, souvent caricaturés comme rustres, fussent capables de tels chefs-d’œuvre. Et pourtant les datations ont démontré le contraire. Et oui, l’Homo sapiens de cette époque n’était pas très différent de l’Homo sapiens du XXIe siècle.
Quel est le sens de ces peintures ? Pourquoi peignaient-ils dans ces lieux sombres et difficiles d’accès ? Quelles histoires racontaient-ils ? Étaient-elles au centre de rituels ? Était-ce plutôt des anecdotes de la chasse ? Ou était-ce de l’art pour l’art ? Comment interpréter leur travail alors que l'on ne sait encore presque rien de leur vie quotidienne… ? Telles sont quelques-unes des grandes questions qui agitent les paléontologues, anthropologues et historiens de l’art face à ces tableaux de la préhistoire.
Les chercheurs Alistair Coombs, de l’université du Kent et le Dr. Martin Sweatman, de l’université d’Edimbourg pensent, eux, avoir réussi à décoder le sens de ces œuvres d'art : « [ce] ne sont pas simplement des représentations d'animaux sauvages. Au lieu de cela, les symboles des animaux représentent les constellations dans le ciel nocturne et sont utilisés pour marquer les dates et des évènements tels que des comètes », soutiennent-ils.
La scène du puits à Lascaux serait un mémorial à un violent évènement cosmique. © Ministère de la Culture, Centre National de la Préhistoire, Norbert Aujoulat
Des animaux, des constellations, des repères dans le temps
Une interprétation pas tout à fait nouvelle car voici 10 ans déjà, Chantal Jègues-Wolkiewiez déchiffrait la salle des Taureaux au sein de la sublime Grotte de Lascaux (voir à ce sujet le film Lascaux, le ciel des premiers hommes) comme un planétarium de la préhistoire. En outre, selon l’ethno astronome, le site n’avait pas été choisi par hasard, de même que bien d’autres qu’elle a examinés ensuite. Dans leur article publié dans la revue Athens Journal of History, les auteurs la rejoignent en partie dans l’hypothèse que cette pratique avait un rapport avec le ciel, les constellations, les saisons et qu’elle était transmise de génération en génération. Et ils l’étendent même à l’Europe, ajoutant aussi que certaines œuvres faisaient écho à des évènements cosmiques.
Pour leur enquête, les chercheurs ont pris soin de comparer la position des étoiles – simulée avec Stellarium et en tenant compte bien sûr de la précession des équinoxes –, relativement aux datations des représentations d’animaux connues, rencontrées de la Turquie à l’Allemagne, en passant par l’Espagne et la France, au cours d’une période qui s’étend entre 40.000 et 7.500 ans. Soit depuis les migrations de sapiens en Europe jusqu’au début de l’agriculture et de la sédentarisation.
Ils concluent que les peintures de Chauvet (datant d’environ 36.000 ans), de Lascaux, d’Altamira ou, bien plus tard, les représentations découvertes dans les temples de Göbekli Tepe et de Çatalhöyük, tous deux dans l’actuelle Turquie, ont toutes le même sens et témoignent de connaissances en astronomie bien supérieures à ce que l’on se figurait jusqu’à présent.
Non seulement, nos ancêtres du paléolithique avaient des repères dans le temps (le cycle des saisons) mais ils avaient aussi conscience de la précession de l’équinoxe, et cela bien avant le savant grec Hipparque à qui l’on attribue la découverte de ce phénomène (l’axe de rotation oscille sur une période de 25.900 ans ; c’est pour cette raison par exemple que l’étoile polaire n’est pas toujours la même au fil des siècles et que les solstices et équinoxes ne se produisent pas toujours au sein des mêmes constellations du zodiaque…).
Stèles au temple de Göbekli Tepe. © Klaus Schmidt, Göbekli Tepe Archive, German Archaeological Institute, Alex Wang, Klaus-Peter Simon, CC by-sa 3.0
Des mémoriaux à des évènements cosmiques
En outre, Alistair Coombs et Martin Sweatman ont déterminé que ces représentations d’animaux marquaient aussi des évènements spectaculaires et brutaux comme les chutes de comètes. « Ces résultats corroborent la théorie d’impacts multiples de comètes au cours du développement humain », écrivent-ils. Une interprétation que Martin Sweatman et son collègue Dimitrios Tsikritsis avaient avancé, en 2017, dans une précédente étude au sujet des bas-reliefs d’animaux gravés sur des piliers du plus ancien temple connu au monde, Göbekli Tepe. Ce sanctuaire érigé vers 10.950 avant notre ère ferait référence, selon leur interprétation, à une catastrophe de grande ampleur d’origine cosmique… Un désastre qui aurait été responsable du mini-âge glaciaire dit du Dryas récent, survenu brutalement il y a 12.500 ans – et qui a duré quelque 1.200 ans –, et dont les traces ont été retrouvées dans les carottes de glace en Arctique.
Et quelques millénaires plus tôt, vers 15.200 avant Jésus-Christ, c’était un évènement semblable qui aurait inspiré la scène du Puits à Lascaux, avancent les chercheurs. Celle où figure ce qu’ils pensent être un homme mort, stylisé, entouré d’animaux.
Des animaux ? Cela rappelle bien sûr le zodiaque, terme dérivé du grec zôdion qui signifie « figure d’animal ». Lesquels Grecs s’étaient beaucoup inspirés, rappelons-le, de la cosmographie des Babyloniens, la plus ancienne dont il nous reste une trace écrite. Aujourd’hui encore, plusieurs des 13 constellations du zodiaque sont restées des animaux (les autres ayant été remplacées), suggérant une origine très ancienne, antérieure probablement aux Mésopotamiens.
Pour les auteurs, il est clair que nos ancêtres de la préhistoire les avaient déjà identifiées comme étant sur la « route du Soleil » (vu de la Terre, le Soleil, la Lune et les planètes brillent tour à tour devant les constellations du zodiaque). Et selon eux, le bison de la scène du puits à Lascaux pourrait être le Capricorne, constellation qui marquait alors le solstice d’été. Et justement, c’est de sa direction que survenaient les Taurides à cette époque lointaine (le radiant des Taurides est aujourd’hui dans le Taureau) d’après leurs reconstitutions du ciel de Lascaux.
Auroch peint dans la salle des Taureaux. Le groupe de points noirs au-dessus de l'animal correspond-il à l'amas des Pléiades qui brille dans la constellation du Taureau ? © Ministère de la Culture, Centre National de la Préhistoire, Norbert Aujoulat
« Les deux [Lascaux et Göbekli Tepe] peuvent être considérés comme des mémoriaux sur les rencontres catastrophiques avec l'essaim météoritique des Taurides, en accord avec la théorie de Clube et Napier », expliquent les deux auteurs en préambule de leur article scientifique. Sans doute que de gros débris de la comète, qui alimente cette pluie d’étoiles filantes, explosèrent alors violemment dans l’atmosphère. Un phénomène qui, selon la taille du fragment, a pu provoquer un « hiver nucléaire » il y a 17.000 ans et aussi il y a 12.500 ans. Le phénomène s'est répété et les artistes du paléolithique puis du néolithique les auraient donc mis en scène.
Enfin, les deux chercheurs remontent jusqu’aux premières traces de la présence d’Homo sapiens en Europe, il y a 40.000 ans. Déjà, à cette époque, estiment-ils, les occupants de la grotte de Hohlenstein-Stadel, qui ont sculpté un lion anthropomorphe, possédaient la connaissance d’une astronomie complexe prenant en compte la précession des équinoxes.
L'homme-lion retrouvé à Hohlenstein-Stadel. © Ulmer Museum
Pourquoi peindre dans les grottes ?
Ces recherches sont fascinantes et étayent de précédents travaux liant l’art rupestre à l’astronomie. Ils témoigneraient d’une longue tradition d’observation du ciel, ce que l’on peut comprendre, tant il était précieux pour nos ancêtres de saisir quand les jours les plus froids arrivaient et quand les beaux jours revenaient (au solstice d’hiver, il y avait l’angoisse aussi que le Soleil ne revienne jamais…). Et l'on imagine aussi combien les nuits devaient être envoûtantes, resplendissantes d’étoiles en l’absence de toute pollution lumineuse.
Les représentations d’animaux révéleraient aussi une longue généalogie des constellations dont certaines, d’ailleurs, ont probablement survécu jusqu’à nous tels le Taureau, le Cancer, le Lion, le Scorpion et sans doute aussi… la Grande Ourse. L’ourse (au féminin et au masculin) que l’on retrouve dans plusieurs cultures et qui pourrait justement symboliser la renaissance. Car c'est dans les grottes que l’animal se réfugie pour passer l’hiver, roulé en boule « au point qu’on peut le donner comme mort tant il ne donne aucun signe de vie – à l’oreille son cœur cesse de battre –, écrit Jean Rouaud, qui livre son interprétation des peintures rupestres dans La splendeur escamotée de frère Cheval, et l’ours n’en ressort pas moins au printemps, frais, dispos et toujours aussi redoutable après s’être étiré […] ». Pour l’écrivain aussi, « les fresques animalières des grottes ornées nous disent la cosmologie du paléolithique supérieur ». L'ours qui se réveille pouvait donc évoquer un retour à la vie, à l'instar du Soleil qui, après le solstice d’hiver, semble renaître (les jours rallongent…). C'est peut-être pour cela que des Hommes représentaient les constellations – et leurs repères des saisons – dans le ventre de la Terre.
Source web par: futura sciences
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