La fortune tombée du ciel (Géoparc Jbel Bani)
Les météorites sont très lourdes à cause de leur densité en métaux. Ici, une orientite proposée par un revendeur d'Erfoud. Arnaud Finistre
Dans le désert marocain, c’est devenu une véritable chasse au trésor. Ceux qui arpentent les dunes à la recherche de météorites sont de plus en plus nombreux. Une quête extraterrestre qui peut rapporter gros.
Sur le marché confidentiel de la météorite, Mohamed Aid est un incontournable. Malgré son allure simple, son attitude modeste, ce marchand reconnu repose sur un petit trésor. Sa plus belle pépite se nomme « Black Beauty » : un caillou noir comme du charbon qu’il a revendu quelque 220 000 euros. Trouvé en 2011 dans le désert marocain, dans une zone appelée Rabt Sbayta, cet éclat de Mars est la météorite la plus chère au monde. Elle est issue de la surface de la planète, et sa valeur scientifique est inestimable. Son prix d’acquisition continue d’ailleurs de grimper : en novembre 2014, une trentaine de grammes a atteint les 70 000 euros aux enchères chez Christie’s, la célèbre maison de ventes. Lorsque Mohamed Aid évoque la pierre de sa vie, en étalant ses dernières acquisitions (diogénite, pallasite, lunaire), sur la table de son salon, ses yeux sombres scintillent : « Black Beauty, confie-t-il, c’est de loin ma plus heureuse trouvaille. »
Nous sommes dans le sud du Maroc, aux portes du grand Sahara. Dans cette zone de transit, tout s’échange, tout se vend. Dès le Moyen Age, les caravanes débarquaient chargées d’or, après des mois de voyage, écrasées sous le soleil saharien. Pourtant, depuis quelques années, une nouvelle ruée vers l’or a pris le relais : une chasse aux météorites qui captive autant les nomades, les scientifiques, les passionnés que les spéculateurs… Pour expliquer cette tendance, un argument de taille : au Maroc, les météorites appartiennent à ceux qui les trouvent et c’est le seul pays de la zone saharienne à tolérer leur vente. Dans les pays frontaliers, Algérie, Tunisie ou Libye, elles reviennent de facto à l’Etat. Leur exportation est interdite et parfois même passible de prison.
La ville d'Erfoud est devenue la plaque tournante du commerce des météorites
A quelques kilomètres des dunes touristiques de Merzouga, à l’extrême est du Maroc, la ville d’Erfoud est devenue la plaque tournante du commerce des météorites. Yahiya est un des nombreux intermédiaires qui en vit, attendant son jour de chance, celui où il tombera sur une pépite de valeur. Pour cela, il achète les pierres aux nomades et les revend à des Marocains ou à des visiteurs de passage. S’ils ne sont pas collectionneurs, ces acquéreurs étrangers iront eux-mêmes les écouler dans des bourses spécialisées et organisées de par le monde : Ensisheim en Alsace, Tucson en Arizona, Munich en Allemagne…
Aujourd’hui, Yahiya vient de recevoir un coup de téléphone d’un de ses contacts. Mohammed, un nomade, aurait déniché une météorite précieuse, a priori une chondrite carbonée, contenant du carbone, comme son nom l’indique. Si la pièce est belle, il pourra la revendre un bon prix. Hormis quelques boutiques pour les touristes, il n’existe pas de point de vente, le réseau est organisé autrement et les négociations se font dans le désert ou chez les particuliers. Petites mains besogneuses, ce sont les nomades qui récoltent le plus souvent sur le terrain. En effet, pour faire paître leurs troupeaux, ils parcourent des kilomètres. « Avec la chaleur, le vent, c’est très difficile de chercher. Pour eux, c’est différent, ils sont nés dans le désert. Ils le connaissent bien », détaille Yahiya.
Nassim le berger a appris à reconnaître les pierres à fort potentiel.
Nassim le berger a appris à reconnaître les pierres à fort potentiel. © Arnaud Finistre
Dès le lendemain, l’acheteur part en 4 x 4 à la rencontre de Mohammed. D’Erfoud, il emprunte la route qui traverse les casbahs en ruine, d’anciens villages fortifiés, puis la piste sinue à travers la palmeraie, réputée pour ses dattes savoureuses. Finalement, au bout d’une demi-heure, le désert avale l’asphalte et la voiture pénètre un univers rocailleux et aride, hérissé de touffes vertes. Au loin se profilent les sommets enneigés de l’Atlas.
Après une bonne heure de trajet, Yahiya atteint le secteur où sont établis Mohammed et sa famille. Il cherche du réseau téléphonique pour appeler en même temps qu’il scrute l’horizon de son œil habitué. Il lui faut encore longer quelques dunes, traverser plusieurs oueds, ces rivières asséchées. Enfin, la frêle tente se dresse, un amas de couvertures et de tissus, maigre protection contre les intempéries. Mohammed s’est installé là avec sa femme et ses cinq enfants. Ici, il a trouvé de l’herbe pour faire paître ses troupeaux, ses treize chameaux et sa dizaine de chèvres. C’est tout ce qu’il possède avec sa moto, mais aussi une belle poignée de météorites. Pourtant, quand Yahiya arrive, un autre marchand est déjà passé par là. Il a acheté la chondrite carbonée 450 dirhams [42 euros]. C’est la règle ici. Il faut être le premier. Philosophe, Yahiya le sait bien : « Les météorites, c’est surtout de la chance et souvent tu ne trouves rien. »
Pour la classification, il faut envoyer un échantillon dans un laboratoire aux Etats-Unis, en Europe ou à Casablanca
Chaque jour apporte son lot de surprises. Ainsi un de ses amis, également revendeur, vient de remporter une affaire. Avec sa camionnette, il est parti à Laâyoune, dans le Sud. Sur plus d’un millier de kilomètres, il a emprunté la route poussiéreuse des anciens trafiquants d’épices, il a traversé les ergs jusqu’à Tata puis a rejoint la côte atlantique pour descendre à Laâyoune. De son rendez-vous avec un nomade, il a rapporté une petite pierre céleste qu’il garde contre lui, à l’intérieur de son manteau. Une vingtaine de grammes, achetée quelques dizaines d’euros et qu’il espère bien revendre 200. Au soleil, le caillou gris et argenté scintille comme une lunaire. Pourtant, il ne saura jamais si c’en est une. Pour la classification, il faut envoyer un échantillon dans un laboratoire, aux Etats-Unis, en Europe ou à Casablanca. Seuls les riches marchands le font. Une fois reconnue, elle peut alors être revendue à meilleur prix, souvent découpée en tranches pour un maximum de profit. « C’est ainsi ! Certains se sont enrichis. D’autres ont tout perdu. Ils n’ont pas eu le nez, ont acheté des cailloux qui n’étaient pas extraterrestres », résume Ibrahim, rencontré sur la route du retour et venu prospecter. Il habite dans le coin et chasse la météorite pour arrondir ses fins de mois. La dernière fois, il a trouvé un morceau de lunaire et l’a revendu plusieurs centaines d’euros.
Mohamed Aid devant ses trouvailles extraterrestres. © Arnaud Finistre
Tout gagner ou tout perdre… A Erfoud, Ahmed Lamouri en a fait l’expérience. Il a été le premier Marocain à s’intéresser aux météorites dans une région qui vit essentiellement grâce aux fossiles et aux minéraux : quartz, gypse, améthyste, calcite, argent… L’ancien se souvient : « Dans les années 1980, j’avais une autorisation pour exploiter des mines d’azurite. Un jour, un ouvrier me ramène une pierre inconnue. Je la montre à un bijoutier. Il me dit que ce n’est pas du minerai. Je l’apporte à un forgeron. Il me répond que ce n’est pas du fer. [...] Quelque temps plus tard, Alain Carion, un spécialiste, collectionneur et marchand français, vient me rendre visite. Il m’explique que c’est une météorite. Franchement, sur le moment, je n’ai pas compris grand-chose. Puis, peu à peu, les gens ont commencé à les ramasser et à les vendre. Il en venait de partout : de tout le Sahara, de Mauritanie, d’Algérie, du Mali… » Ahmed, lui, n’a pas fait fortune. Faute de bons placements, il a trop dépensé et laissé filer des affaires. « Une fois j’ai acheté une pierre 30 dirhams [2,80 euros] le gramme. Je l’ai revendue le double. Mais, deux mois plus tard, elle tournait à 600 dirhams [56 euros] le gramme avant de partir à l’étranger. C’était une eucrite, une pièce rare. »
Les acheteurs étrangers se livrent à des transactions de plusieurs milliers d'euros
Depuis les balbutiements des années 1990, la filière s’est organisée. Si les Touaregs restent bergers, la plupart ont dans la poche un petit aimant pour reconnaître ces pépites venues du ciel. Certains sont même devenus des experts, savent différencier une banale chondrite d’une achondrite plus remarquable. Après eux, les intermédiaires sont souvent nombreux. « La finalité, c’est de vendre à des étrangers. Or ces acheteurs se livrent à des transactions de plusieurs milliers d’euros, ils doivent être solvables et crédibles, avec un compte en banque et une solide réputation », confie un bon connaisseur du milieu. Les prix, quant à eux, varient énormément. Tout dépend si la pierre est fendue, si les rayons sont marqués, si la forme est belle. Les chondrites ordinaires oscillent entre 200 et 600 euros le kilo. Pour les pièces rares, les lunaires ou les martiennes, les tarifs s’envolent et atteignent des sommes astronomiques, notamment en cas de chute récente.
C’est ce qui s’est passé le 18 juillet 2011, à Tissint. Pendant la nuit, quelques chanceux éveillés entendent une explosion et observent une lueur jaune éclairer le ciel. Dans l’histoire, c’est la cinquième chute connue de martienne sur Terre. Fraîchement tombée et peu polluée par des éléments terrestres, elle a un grand intérêt scientifique. Quelques semaines après, le premier échantillon est classifié comme martien. A partir de ce moment, dans une zone totalement inhospitalière à 70 kilomètres de la moindre trace d’un petit village, une véritable ruée vers l’or s’organise. Selon les médias marocains, 3 000 personnes arpentent la zone. Au total, au cours des mois suivants, près de 7 kilos de débris sont récoltés. Les premières pièces sont vendues très peu cher puis les prix augmentent, jusqu’à 1 000 euros le gramme…
Légende ou réalité, le monde des météorites est plein de fantasmes
Brahim collecte depuis vingt ans les météorites. Sahraoui, il a grandi avec son père dans le désert avant d’ouvrir une boutique pour les touristes à Ouarzazate. Il connaît très bien les nomades. « A Tata, près de Tissint, certains se sont beaucoup enrichis. Après 2011, ils ont acheté des maisons, des 4 x 4, raconte-t-il. Mais d’autres ont vendu une pièce 20 dirhams [2 euros] puis l’ont retrouvée quelques mois plus tard à 1 000 euros sur le marché. Ils sont devenus fous. »
Légende ou réalité, le monde des météorites est plein de fantasmes. Sur une table basse, au fond de son magasin, au milieu des bijoux berbères, des babouches et des théières, Brahim sort ses pépites extraterrestres. « C’est un bon business, les cailloux. Ça ne se mange pas, mais ça se vend, très cher. Depuis Tissint, on a tout écoulé. On attend une nouvelle chute du ciel », sourit-il.
Rachid Chaoui fait partie de ceux qui se sont beaucoup enrichis grâce à ce business. Dans un monde qui reste discret – et pour cause : la vente de météorites au Maroc ne fait l’objet d’aucun cadre législatif, elle n’est donc pas taxée et ses règles ne sont pas définies –, il est un des rares à accepter de parler et de raconter comment il a fait fortune. « J’ai commencé à m’y intéresser en 2008. Je m’étais endetté après mon mariage. » D’origine modeste – ses parents ont élevé treize enfants –, le jeune homme a besoin d’argent. « Je me suis mis à chercher des météorites. J’allais dans le désert avec ma moto. Pendant un an, je n’ai rien trouvé. Mon premier achat sérieux, c’est une lunaire, grâce à un nomade. L’essentiel dans ce commerce est d’entretenir de bonnes relations avec eux, avec du respect, car ils sont plus chanceux que nous. Ce jour-là, il m’a prévenu qu’il avait quelque chose de précieux. J’ai pris la météorite, je l’ai envoyée à l’étranger pour la faire analyser. Je lui ai dit que je le payerais en fonction des résultats et il m’a fait confiance. Il s’est révélé que c’était une très belle lunaire de 442 grammes, que j’ai vendue par la suite à un Américain. » Le trentenaire sourit, heureux. Il n’en revient toujours pas. « C’était comme dans un rêve. Tout d’un coup, j’ai dit bye-bye à la pauvreté, j’ai remboursé mon crédit, mis 40 000 dirhams [3 700 euros] de côté et j’ai pu acheter d’autres pièces pour lancer mon affaire. »
Aujourd’hui, Rachid Chaoui vend essentiellement sur Internet. Il se fait construire une deuxième maison, en ville, à Ouarzazate, pour se rapprocher des commodités, des banques et des écoles pour ses enfants. De son côté, le nomade a, lui aussi, acquis une propriété. « Il s’y réfugie seulement quand il pleut, sourit Rachid Chaoui, mais, pour le reste, il préfère vivre dans le désert. » Sous le ciel qui a fait sa fortune, il peut continuer à croire en sa bonne étoile.
Le 24/05/2015
Source web par : parismatch
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