Des nouvelles du front… Iguer Oujna – Le récit d’une découverte
Lieu : Tighza Minéral : Barytine, galène, sidérite
Il fut un temps où le Jbel Aouam produisait de belles barytines incolores (dont j’ai retrouvé certaine récemment sur des sites de vente en ligne non sans me demander quel chemin elles avaient parcouru pour atterrir jusqu’ici. Je ne pense pas que les mineurs qui les ont découverts auraient imaginé que le fruit de leurs efforts se vendrait quarante ans plus tard à quelques milliers de US$). C’était dans les années 80, et plus précisément dans les anciens chantiers du filon appelé Structure 18.
A part cela, on ne peut pas dire que le vieux district minier (exploité depuis les Almohades, soit plus de 1000 ans d’histoire minière tout de même !) se soit distingué par la beauté de ses cristaux. J’y ai trouvé quelques encroûtements de pyromorphite-mimétite, parfois d’une belle couleur, ainsi que quelques cristaux centimétriques d’andradite dans les skarns, mais rien de spectaculaire.
Jusqu’à l’an 2014, où le filon d’Iguer Oujna me réserva une belle surprise. En tant que géologue minier, mon rôle était en effet de découvrir de nouvelles = minéralisées à exploiter. En ce jour de juin, je faisais ma visite de routine au front de la galerie du niveau -125 et je constatais un élargissement considérable de la zone filonienne ainsi que de la minéralisation par rapport aux niveaux supérieurs. Ainsi il nous faudrait revoir notre modèle de la minéralisation car ce filon situé à l’extrémité du district minier était réputé jusqu’à présent pauvre ! Au retour du front, je constate un amas de galène qui semble s’écouler d’une ouverture dans le parement. Cette fente, ouverte dans le granite, fait environ 50cm de long sur moins de 5cm de large. Mais elle contient malgré cela de belles cristallisations de galène en cristaux cuboctaédriques centimétriques, recouverts de sidérite. Les dimensions de la géode et la faible luminosité de ma lampe font que je sors les cristaux plus grâce au hasard qu’autre chose, mais heureusement, le granite altéré me permet de sortir les pièces sans avoir recours au marteau, qui aurait totalement détruit ces cristaux très facilement clivables. J’aurais réussi à extraire seulement 5 pièces dignes d’intérêt de cette fente, supportant des cristaux jusqu’à 6cm de large. La plus grosse, un placage de sidérite 30x30cm recouvrant intégralement des cristaux de galène est restée chez les mineurs.
Une semaine après, lors de la visite suivante, je demande aux mineurs d’arroser la couronne pour que je puisse faire mon levé géologique. Tout à coup, un éclat très brillant attire mon attention. Une anfractuosité du plafond laisse deviner ce qui pourrait être un cristal prismatique, à peine 5m plus loin que la géode à galène. Ou bien n’est-ce qu’un simple fragment de schiste ? Une fois terminé le levé, je reviens sur la zone, mais celle-ci s’avère inaccessible, car située à 2,5m de hauteur. Je dois pourtant en avoir le cœur net et je demande à un mineur de me faire la courte échelle. Dans la position où je me trouvais, je peux dire que je n’ai rien vu. Mais je sentais les faces cristallines sous mes doigts ! J’en ai retiré deux groupes de cristaux, décimétriques, totalement flottants, d’une couleur et d’une brillance que je n’avais jamais vues auparavant. C’était de la barytine. Mais la position de la géode rendait l’extraction extrêmement délicate et dangereuse.
Flottant de barytine (premier spécimen sorti de la poche)
Géode avec un cristal de barytine en place
Après la récolte… complétement trempés !
Heureusement, j’avais de la main d’œuvre ! J’avais la charge d’un stagiaire français et je l’emmenais à Iguer Oujna pour effectuer un levé de la minéralisation. Ce 8 juillet, une fois le levé expédié, échelle, masse et barre à mine étaient au travail pour vider la poche. Celle-ci s’avéra plus grande que ce que j’imaginais : environ 1m50 de long pour 10 à 15cm de large, et plus de 50cm de haut (je n’ai pas réussi à voir la limite supérieure). Nous réussîmes à sortir plus d’une trentaine de pièces, la plupart des cristaux flottants détachés de la paroi, dont 6 pièces remarquables. Chaque pièce était unique, par sa couleur (incolore à fumé), par son habitus (trapu parfois riche en faces), par sa transparence… Il y en avait même une formée d’un placage de sidérite portant des cristaux centimétriques octaédriques de galène elle-même portant des cristaux biterminés de barytine !
Malgré le petit nombre de pièces récoltées, la qualité des cristallisations est remarquable et fait partie sans aucun doute des meilleures découvertes (minières et minéralogiques !) réalisées au district de Jbel Aouam. Espérons que le développement de l’exploitation dans les prochaines années à Iguer Oujna permettra d’autres découvertes plus belles encore !
Barytine biterminée sur galène et sidérite
Un des plus beaux groupes de barytine extraits
Source Web: azuritecompagnie.wordpress
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