Paléontologie: un Patrimoine en souffrance
L’affaire du dinosaure marin marocain (Zarafasaura) qui a été suivi par l’opinion publique marocaine et française n’est qu’une petite partie de l’iceberg qui révèle l’ampleur des trafics liés aux patrimoines paléontologique et géologique du Royaume.
Le cas de ce dinosaure que les scientifiques ont mis quatre ans à assembler, a été sorti en toute impunité par une mafia opérant dans le trafic des fossiles et dinosaures marocains. Les questions qui se posent sont : comment peut-on passer un dinosaure (serait-il encore sous forme de tas de cailloux) aux yeux de la douane ? Comment se fait-il que le fruit de fouilles scientifiques de plusieurs années soit quasi-systématiquement « exporté » ailleurs ? que fait le Maroc pour valoriser et protéger son patrimoine géologique ?
Il est normal qu’on se pose toutes ces questions face au cas de figure d’une confiscation de patrimoine telle que celle qu’on a constaté dans cette affaire. Ce qui n’est pas normal, c’est de ne pas tirer les enseignements de cette affaire pour comprendre comment réussir à donner à ce patrimoine la place et la valeur qui devraient être les siennes.
Paléontologie en catastrophe
Ayant moi-même été dans les couloirs de la faculté des sciences plus précisément au département de géologie, j’ai vécu l’exaltation de la découverte d’une poche remplie d’ossements de panthères de rhinocéros et d’autres animaux, dans la région de Dar Bouazza. La découverte a été faite par un de mes professeurs. La poche se trouvait dans un terrain d’une résidence balnéaire en construction…
Nous étions attristés et obligés de faire les fouilles à la hâte : négligeant toute la procédure d’une vraie fouille. Le projet allait raser tout l’affleurement rocheux, effaçant avec lui une bonne partie de l’histoire naturelle de la région de Dar Bouazza. Notre mission , aussi importante fut elle pour la science et pour la compréhension de l’histoire paléontologique du Maroc, ne valait plus rien devant « l’importance » du gain sauvage que cherchait le promoteur immobilier.
Le sonnant contre le symbolique
Au final, c’est le projet « prioritaire » qui a eu le dernier mot. Le Maroc a gagné une résidence de plage (une de plus), le Nord de l’Afrique y a perdu un morceau de puzzle précieux pour comprendre l’évolution des paysages et de la biodiversité de la région a travers les âges.
Je suis sûr que cette situation n’est pas unique et que l’intérêt économique prime sur l’intérêt patrimonial et scientifique. Comme le cas des gisements de phosphates…
Certes l’exploitation des phosphates a des retombées économiques non négligeables. En revanche ces exploitations broient énormément de fossiles (certainement inestimables), car l’ouvrier lambda n’en a pas connaissance… Pourtant, si c’est uniquement d’argent qu’on parle ici, l’OCP gagnerait à s’engager réellement dans la recherche pour comprendre les origines du monde d’aujourd’hui. Trouver et extraire du phosphate c’est bien. Donner plus de valeur aux « cailloux », et à défaut de contribuer activement à localiser des éléments qui ont la plus grande valeur pour la science, au moins l’OCP devrait il s’engager à ne pas systématiquement en broyer à tour de bras.
Collectionneurs collectionnés
Autre exemple, le Maroc qui est aussi un pays très riche en minéraux (vanadinite, azurite, malachite, érythrite, roselite…etc), et en tant que collectionneur, j’ai assisté à la raréfaction de belles pièces de collection à la vente dans mon pays, le constat est très simple, une mafia s’empare des beaux spécimens à la source, pour les vendre dans les bourses de minéraux en Europe, car c’est plus lucratif de les vendre à ceux qui connaissent leur valeur et surtout leur prix.
Dans un pays comme le nôtre, où l’on connaît la valeur du travail et de l’argent, les richesses naturelles ne devraient plus passer pour des non-priorités. C’est autant d’outils pour comprendre notre histoire, autant d’objets que beaucoup voyagent –avec leurs devises- pour pouvoir observer, autant de pièces remarquables et parfois uniques. Si l’on doit mettre ce patrimoine à profit, c’est uniquement à travers un musée dont la mission est de donner un coup de fouet à la recherche et pourquoi pas, de mettre en avant des profils de chercheurs marocains –invisibles à l’heure actuelle-.
En attente d’un changement…
La France autant que le Maroc, ont ratifié l’accord de l’UNESCO de 1970 pour la protection des patrimoines culturels. Le Maroc doit respecter son engagement et agir pour stopper cette hémorragie patrimoniale et scientifique.
En attendant, le changement doit aussi passer par la formation de notre corps douanier et par la sensibilisation de la population. Dans ce sens, le musée d’archéologie et des sciences de la terre est -le seul- projet en cours de construction. Depuis plusieurs années, et après plusieurs changements de site nous espérons le voir ouvrir les portes le plus tôt possible.
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