La palmeraie de Skoura, l’oasis par excellence (Géoparc Jbel Bani)
La palmeraie de Skoura représente l’espace oasien en tous points de sa définition. C’est un lieu de végétation isolé dans un environnement aride et dans lequel s’est agrégée au fil des temps une population d’origines diverses. Dans ce lieu de vie s’est organisée une économie fondée principalement sur une agriculture intégrée construite en une superposition bien connue des cultures, à savoir les palmiers dattiers en hauteur, ensuite les fruitiers et puis dans la couche inférieure, la plus ombragée, avec le maraîchage, les fourrages et les céréales. Cette agriculture repose elle-même sur l’irrigation artificielle des terres et jardins. De fait, la palmeraie de Skoura jouit d’une véritable authenticité écologique et culturelle. Les jardins verdoyants comme les merveilleuses casbahs qui la constituent sont le produit du génie laborieux des populations qui s’y sont succédé génération après génération. Skoura constitue un îlot de verdure et de vie qui reflète l’histoire de toute la région du Sud Est du Maroc.
Une palmeraie qui vit aux rythmes des saisons
Au pied de la chaîne de l’Atlas, la palmeraie de Skoura se profile en beauté. Ses jardins abondent de palmiers dattiers et d’autres arbres fruitiers tels les oliviers, les grenadiers, les amandiers, les abricotiers, les figuiers … Ces arbres protègent eux-mêmes les cultures plus basses de blé, orge, luzerne, maïs … qui poussent jusqu’à la berge de l’oued.
La tradition orale raconte que Skoura était il y a très longtemps un grand lac peuplé par diverses espèces d’oiseaux dont le plus important était la perdrix, animal qui se dit en amazigh Askour ou Taskourt pour son féminin. Différentes communautés ont émigré des montagnes voisines et des confins du désert notamment depuis le Drâa et le Tafilalet pour s’installer aux bords de ce lac. Une légende raconte que la communauté, majoritaire, venue de Drâa et appelée par certains la vallée des olives, aurait apporté avec elle l’olivier pour le planter dans ce territoire abreuvé jusqu’à plus soif. Ces communautés auraient ensuite asséché ce lac pour faire pousser des jardins de palmiers, d’oliviers ou de grenadiers … Alors la région fut nommée Skoura à force de répéter le mot Askour ou perdrix, comme une appellation déformée avec le temps.
La palmeraie de Skoura prospère et dépérit selon les caprices des saisons. Les années pluvieuses en font un paradis enchanté alors que les temps durs de sécheresse y sèment désolation et misère. L’Oued Dadès s’y écoule durablement et traverse de nombreux villages de la palmeraie, dont le douar Sidi Flah, alors que l’oued Hajjaj qui traverse la palmeraie de son long ne nourrit les jardins de ses eaux que durant les périodes de crue. Le reste du temps, cette rivière est à sec.
La palmeraie de Skoura et ses oliviers
La population de Skoura vit principalement de l’agriculture. La pénurie des eaux de surface a poussé les habitants de la palmeraie depuis les temps très anciens à élaborer un système ingénieux d’irrigation dénommé khettara ou qanat constitué par une galerie souterraine de canaux destinés à la captation de l’eau depuis les flancs de montagnes alentour et à sa distribution jusque vers tous les villages et leurs jardins familiaux. Ces galeries drainantes constituent ainsi une source d’eau constante et régulière pour l’irrigation des champs en toute saison.
Kettara : cette technique des khettaras est considérée comme l’un des plus vieux systèmes de gestion des eaux de culture, puisqu’on fait remonter ses origines en Perse antique, il y a plus de 3 000 ans. En Afghanistan on les appelle «kiraz», en Iran «quanat», en Algérie on les nomme «fouggara», au Maroc «khettara», au Yemen «aflaj», en Chine «karez», en Syrie «kanawat». (source : savoirs.rfi.fr)
Les temps de désolation ont pourtant profondément marqué la mémoire collective locale. Durant la première moitié du 20ème siècle, la sécheresse s’est abattue sur toute la région entraînant famine et typhus. M. Mrabou, natif de la palmeraie de Skoura, en garde des souvenirs affligeants et témoigne :
« Les gens affaiblis agonisent désespérément. La mort décimait sans cesse les familles. Les quantités de riz qu’on distribuait au centre de Skoura à la population des miséreux étaient dérisoires. Ce drame a déclenché un exode massif de la population vers le nord, surtout vers Marrakech et Casablanca … »
M. Mrabou
M. Mrabou à la maison d’hôte Dar Lorkam pour sudestmaroc.com
A côté de ces jours sombres, la palmeraie de Skoura a vécu d’autres périodes de prospérité qui ont fait d’elle une féerie grandiose. Des temps où le ciel l’a arrosée des flots de pluie. Le vieil homme s’en réjouit :
« Je me souviens des années où l’eau coulait abondamment sur la surface à Amzzaourou surtout dans les douars de Tajannat, Boumehcha, Oulad Brahim. Quand on creusait, l’eau jaillissait à 3 ou 4 mètres en profondeur »
M. Mrabou
Kasbah de Si Abd El Kebir, Khalifa de Skoura
Kasbah de Mohamed ben Hamadi
Une architecture ancrée dans l’espace oasien
Skoura reflète l’architecture oasienne. De nombreux douars sont éparpillés au sein de la palmeraie et abritent une population autrefois soumise à fournir une corvée au seigneur du moment, véritable maître des lieux, et sous la forme de travaux dans les champs et pour la construction des casbahs. évoqua M Mrabou.
« La corvée rythmait notre quotidien. Nous échappions à ce fardeau seulement deux jours par semaine »
Mohamed Mbarou
Les douars jouxtent les casbahs, grandes demeures fortifiées et construites en terre rouge dénommée tabia en amazighe. Ces casbahs étaient le symbole du pouvoir car elles étaient habitées par les notables du territoire, des familles influentes et pourtant vassales du seigneur qui régnait lui sur l’ensemble de la région. C’est l’exemple de la Casbah Si Abd El Kebir, jadis Khalifa de Skoura, la Casbah Mohamed Ben Hamadi, la Casbah Ait Abou, la Casbah Ben Moro … Toutes ces maisons fortifiées portent le nom des familles auxquelles elles appartiennent. La Casbah Amridil, fameuse pour avoir été représentée sur les billets de banque de cinquante dirhams, abritait quant à elle une famille de renommée et d’influence religieuse descendant de la Zaouïa Naciria de Tamegroute.
Ces casbahs de forme carrée avec des tours en leurs quatre coins s’imposent par leur grandeur et fascinent par la beauté de leur architecture. A la majesté des murailles et la justesse des proportions s’ajoutent une décoration harmonieuse avec de splendides dessins géométriques : merlons à pyramidions des murailles, frises d’arcatures, motifs en creux et en relief … Des ornements authentiques en harmonie avec d’autres nouvellement introduits notamment sous l’influence hispano-mauresque. Ces casbahs forment des chefs d’œuvres architecturaux qui mettent en évidence la virtuosité des maîtres artisans locaux, ces ingénieurs scrupuleux de l’architecture en terre.
Le carrefour d’une diversité ethnique et culturelle
Les habitants de Skoura sont appelés les Ahl Skoura. En leur origine, ils forment une fraction arabisée du groupe de tribus amazighes jadis dénommé Masmouda, l’un des trois grands groupes berbères aux côtés des Zénètes et des Sanhadja. Une grande partie de cette population est originaire du Tafilalet et du Drâa. Sous le règne des Almohades, les habitants de la palmeraie faisaient partie de la confédération des Haskoura, dont la capitale était Demnate. Outre cet élément de la population de souche amazighe, d’autres communautés, arabes et en provenance de Beni Hilal et de Beni Maâkil, se sont installées à Skoura, aussi enrichie par des populations d’origine africaine.
La population de Skoura était en effet véritablement composite, un vrai mélange des différents rameaux d’immigration qui se sont retrouvés en cet endroit luxuriant pour y construire un collectif unifié par le temps. Une grande partie forme le petit peuple encore appelé laâouam traduction en arabe local du mot populace. Viennent ensuite un important groupe de population appelé les haratines en raison de leur savoir-faire agricole, leur nom signifiant littéralement « laboureurs ». Cette population à peau noire faisait donc partie de la classe des agriculteurs. Ils se sont répandus dans tous les territoires de la vallée du Drâa et du Tafilalet et constituent une composante humaine fondamentale de la population et de l’histoire de la région du Sud Est du Maroc.
Les haratines : (en berbère Ismengen, sing. Asmeng), parfois appelés Maures Noirs, ils désignent des habitants noirs du Sahara. Ils seraient les descendants d’esclaves noirs amenés de régions subsahariennes comme le Soudan, par les marchands berbères, souvent à l’issue de razzias faites par les Touaregs, ou lors de la période d’esclavagisme dans le monde arabo-musulman. (source wikipedia)
Une autre ethnie à peau noire directement d’origine du Soudan et appelée Laâbid, littéralement les esclaves, étaient traditionnellement en charge des affaires de la maison. ils étaient la classe des domestiques. Adeptes de la confrérie Gnaoua, ils sont porteurs des traditions de cette musique itinérante, et célébraient annuellement une tradition spirituelle dite Derdba, ce qui signifie roulement de tambours, en partant de Douar Chebbaka pour rejoindre le tombeau du marabout Sidi Mbarek où ils immolaient un animal en guise d’offrande. Leur musique symbolisait bénédiction et guérison pour les souffrants parmi les habitants.
Les Zaouïas ou les confréries soufies représentaient aussi une composante essentielle de la palmeraie, une force religieuse, sociale et spirituelle. Ses représentants portaient des noms significatifs comme Ezzaoui ou Elmrabet, ce qui signifie religieux ou ascète qui s’est voué à la vie contemplative. Cette classe-là était exonérée d’impôts, des corvées et ne participait pas aux conflits inter-tribaux. Les édifices de ces Zaouïas constituaient un abri pour les infortunés, un espace d’étude en tant qu’école coranique et un lieu d’hébergement pour les étudiants. Leurs traces subsistent encore aujourd’hui comme la Zaouïa Ait Sidi Rehhal et la Zaouïa Si Abdelmoumen dans les villages Kser Oulad Âamer, la Zaouïa Aït Si Yaâcoub dans le douar Ouled Brahim. En revanche, une zaouïa mystérieuse persiste dans les histoires racontées par les anciens de Skoura, une Zaouïa de la pierre, la Zaouiat Lahjer. Personne ne sait où elle se situait. Elle a disparu depuis longtemps et il n’en reste que le nom.
Un mausolée esseulé dans la périphérie de la palmeraie de Skoura
Le souvenir apprécié de la communauté juive de Skoura
À l’instar des autres territoires du Sud Est marocain, la communauté juive était très appréciée dans la palmeraie de Skoura, et ce depuis les temps les plus reculés inscrits dans la mémoire des anciens encore en vie aujourd’hui, ce qui laisse penser que ce groupe de population aurait directement participé à la création de l’oasis, et en tout cas à son développement au fil des années. Son importance se traduit par leur monopole dans les métiers du commerce et de l’artisanat, depuis les arts manuels jusqu’à ceux de la construction des bâtiments. Les juifs représentaient ainsi une composante humaine et culturelle intrinsèquement intégrée à la tribu de Skoura. De grands noms de familles juives habitant Skoura résonnent encore comme celui d’Aït Mouchi Haroun, d’Aït Ben Âalia, d’Israel Ben Bihi, d’Ishak, d’Aït Âannou, de Masâaoud, Mochi Haroun Hayoun, Haddou Ben Chaloum … Cette présence enrichissante a duré des siècles et a laissé des traces visibles notamment les lieux de leur festivités (El Hara) comme dans le douar Aoulad Âamer ou les cimetières juifs comme celui du douar Boumehchad et du douar Ouled Yaâgoub, nom qui signifie littéralement Fils de Jacob.
Le cimetière juif du douar Boumehchad
Ruines du El Hara des juifs dans le douar Aoulad Aahmar
Les juifs de Skoura célébraient leurs fêtes comme la mimouna au sortir du dernier jour de Pessa’h et la fête des grenades appelée Âid Erramman. Leur saint référent par lequel ils juraient était Moulay Ighi ou rabbi David Laskar dont le mausolée se trouve dans le village de Zerkten, dans la région de Marrakech. Il est connu qu’en ces temps d’harmonie, ici à Skoura comme dans les autres lieux de vie de la région Sud Est, les populations de confessions musulmanes et juives d’un même territoire partageaient leurs festivités traditionnelles dans un même élan de respect et d’affection.
Mohamed Mrabou se souvient encore de ses temps de vie avec les juifs à Skoura. Il évoque cette époque qui fut ainsi une partie pleine de sa vie et de celle de l’ensemble de la palmeraie de Skoura, autrefois :
« La communauté juive était au cœur de la palmeraie. Nous avons vécu tous ensemble comme une famille. Les juifs étaient des maîtres artisans et de grands commerçants. Le jour de leur départ inattendu, ils ont vendu tous leurs biens, champs et maisons. C’étaient des gens qui tiennent parole, sérieux et honnêtes … »
Mohamed Mrabou
Mohammed Mrabou, la mémoire de Skoura
Tel est le visage de la palmeraie de Skoura, cette oasis issue des plus anciennes traditions du Maroc mais encore vivante, rayonnant des plus belles couleurs de cette mosaïque culturelle qui a forgé l’identité et le caractère de la région Sud Est du Maroc.
Le 5 décembre 2019
Source web par : sud est maroc
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