Les oasis du Maghreb, des agro-écosystèmes de plus en plus menacés Comment renforcer leur durabilité ? (Maroc-Géoparc Jbel Bani)
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Les oasis du Maghreb, des agro-écosystèmes de plus en plus menacés Comment renforcer leur durabilité ? (Maroc-Géoparc Jbel Bani)

Par Philippe Jouve, agronome

jouveph@wanadoo.fr

Les oasis sont des espaces anthropisés et cultivés au sein de vastes zones arides voire désertiques. On les trouve donc dans la plupart des grandes régions sèches du monde : sur le pourtour du Sahara, au Maghreb comme au Sahel, au Moyen Orient, sur la côte ouest de l’Amérique latine et en Asie centrale.

Étant donné la grande diversité des oasis et les différentes façons de les définir (Lacoste, 1992), il est difficile de connaître avec précision les superficies qu’elles occupent dans le monde.

On estime cependant qu’environ 150 millions de personnes vivent dans les oasis. Historiquement, leur création s’est faite le plus souvent pour constituer des relais le long des routes caravanières et des grands axes d’échanges intercontinentaux (Toutain et al., 1989).

La survie de ces oasis est conditionnée par la mobilisation de l’eau. Sur le plan technique celle-ci peut se faire de différentes manières, soit par la dérivation d’eau de rivières ou de fleuves comme dans la vallée du Nil en Égypte, soit par l’exploitation par pompage de nappes souterraines plus ou moins profondes comme dans le cas des oasis tunisiennes du Djérid, du Nefzaoua ou de Gafsa, ou par le drainage à l’aide de galeries souterraines de nappes phréatiques situées en amont de l’oasis : c’est le système des khettaras1 du Sud marocain, des foggaras d’Algérie (Touat, Gourara et Tidikelt) ou des qanâts d’Iran.

À cette maîtrise technique de la ressource en eau sont associées traditionnellement des formes d’organisations sociales complexes en matière de droits et d’usages de l’eau, ayant un caractère communautaire sans être pour autant égalitaire. On verra par la suite que ces formes traditionnelles de gestion sociale de l’eau sont en voie de recomposition, parfois de déclin.

En matière de mise en valeur agricole, le coeur de l’oasis est constitué par une palmeraie sous laquelle on trouve, quand les ressources en eau sont suffisantes, deux autres étages de végétation, des arbres fruitiersgrenadiers, abricotiers, pêchers, figuiers, etc. – et, en dessous, des céréales, de la luzerne ou du maraîchage. À sa périphérie se trouvent généralement des zones pastorales permettant un élevage transhumant ou nomade complémentaire de la vie de l’oasis. De même sur le territoire d’un certain nombre d’oasis, notamment dans le Sud marocain, il est possible de pratiquer des cultures de décrue dans le lit majeur des oueds ou dans des zones dépressionnaires. Ce type de culture bien que très aléatoire peut contribuer de façon notable à l’approvisionnement en céréales des populations oasiennes.

Si la plupart de ces oasis ont été créées dans des régions peu peuplées, elles ne sont pas pour autant des îles perdues au milieu du désert.

Autrefois relais commerciaux, nombre d’entre elles se sont urbanisées ou interconnectées avec le monde extérieur par le biais de l’émigration.

Les menaces qui pèsent sur la durabilité des oasis Bien que la plupart des oasis existent depuis plusieurs centaines d’années, on observe que dans différentes régions du monde ces agro-écosystèmes complexes sont en crise et en déclin (Dubost, 1988). En effet de nombreuses menaces pèsent sur le devenir des oasis et conduisent à se poser la question de leur durabilité.

Mais les problèmes que pose cette durabilité sont en partie dépendants de la situation géopolitique de ces oasis. Aussi nous limiterons notre analyse aux menaces spécifiques qui pèsent sur les oasis du Maghreb au Nord du Sahara et nous examinerons ces menaces en considérant les conditions générales qui déterminent la durabilité des systèmes d’exploitation des milieux, à savoir la reproductibilité agroécologique, la viabilité économique et la viabilité sociale (Landais, 1998).

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Sortie d'eau d'une khettara. Photo Philippe Jouve.

La dégradation du milieu biophysique et des ressources naturelles De ce point de vue, la principale menace est constituée par la diminution des ressources en eau dont dépend la vie de l’oasis.

Au Maghreb et dans le pourtour méditerranéen la première cause de cette diminution est la succession de périodes de sécheresse au cours des dernières décennies. Ces sécheresses se sont traduites par un rabattement des nappes phréatiques entraînant une diminution des capacités d’exhaure et surtout le tarissement de nombreuses khettaras à partir desquelles sont alimentées les palmeraies2.

L’autre cause de diminution de la ressource en eau est la surexploitation des nappes aquifères par la multiplication incontrôlée des pompages. Cette surexploitation peut avoir plusieurs origines. Le développement urbain à proximité des oasis crée une concurrence pour l’eau au détriment des besoins de la palmeraie.

La multiplication des pompages privés individuels en périphérie des anciennes palmeraies afin de s’affranchir des règles et contraintes collectives d’usage de l’eau peut aussi conduire à un tarissement progressif de l’alimentation en eau de l’oasis traditionnel et provoquer son déclin (c'est le cas du Tafilalet au Maroc ou de la wilaya d’Adrar en Algérie).

L’utilisation de nappes fossiles pour créer de nouvelles plantations de palmiers dattiers modernes plus intensives dont la production est destinée au marché intérieur et à l’exportation, représente aussi un risque écologique important dans la mesure où les pompages profonds dans ces nappes exploitent une ressource non renouvelable (cas de la nappe du Continental intercalaire au Maghreb).

D’autres causes liées au milieu biophysique peuvent également contribuer au déclin des oasis et affecter leur durabilité, en particulier l’ensablement et la salinisation des sols.

Les risques d’ensablement sont très variables d’une région à l’autre. Dans un certain nombre de situations cet ensablement apparaît comme un phénomène localisé évoluant lentement.

En dépit des interventions des pouvoirs publics (plantations et palissages par les services des Eaux et forêts), il est difficile de contrôler cette altération du milieu quand elle revêt un caractère géologique comme c’est le cas le plus souvent. En général l’ensablement ne concerne qu’une partie de l’oasis, ce qui conduit les agriculteurs à déplacer leurs parcelles et parfois leur habitation.

La salinisation des sols est fréquente dans les oasis situées dans les régions les plus arides, là où les eaux d’irrigation sont plus chargées en sels et où l’évapotranspiration est forte. Cette salinisation peut se faire suivant deux voies, la voie saline neutre et la voie alcaline. La première peut être corrigée tandis que la deuxième est relativement irréversible. En général c’est le premier type de salinisation que l’on observe dans les oasis. Cependant si elle est très forte elle peut entraîner l’abandon des terres comme cela s’est produit dans le passé en Mésopotamie.

Dans les oasis du Sud du Maroc, la salinisation des sols, parfois très spectaculaire, s’est révélée être plus une conséquence du déclin des oasis qu’une cause de ce déclin. En effet c’est l’abandon de la culture et donc de l’irrigation du sol, pour toute une série d’autres raisons, qui sont à l’origine de sa salinisation.

Une autre menace qui pèse sur la durabilité des oasis est le bayoud (Sedra, 2003).       

Cette maladie cryptogamique se propage d’ouest en est au Maghreb. Au Maroc, elle serait à l’origine de la disparition de plus de 10 % des palmiers dattiers et en particulier des variétés les plus appréciées des consommateurs (Mehjoul, Deglet Nour). Le champignon qui est à l’origine de cette maladie (Fusarium oxysporum) se propage dans le sol et pénètre dans les vaisseaux conducteurs de la sève du palmier, entraînant son dessèchement progressif et sa mort. Les spores de ce champignon peuvent être transportées par l’eau, la terre, le fumier, le matériel végétal, les outils. Il en résulte que ce sont les palmeraies les plus travaillées, les mieux entretenues qui sont les plus menacées par le bayoud. À l’inverse, les palmeraies non irriguées que l’on trouve à la périphérie des oasis, appelées « bors », sont peu affectées par la maladie. À part l’introduction de variétés plus ou moins résistantes au bayoud, on ne dispose pas de moyens de traitement efficaces contre la maladie, aussi les agriculteurs la considèrent-ils comme une contrainte naturelle de leur milieu avec laquelle il faut vivre. Cela ne les empêche pas de sélectionner des variétés locales et en particulier des saïrs (variétés issues de noyaux) résistants au bayoud.

Mais ce n’est pas le seul problème phytosanitaire qui affecte les oasis.

Il faut également citer la cochenille blanche (Parlatoria blanchardii) qui altère le métabolisme du palmier, entraînant une baisse de la qualité et de la quantité de la production.

L’autre parasite qui affecte la production est la pyrale de la datte (Myeloïs ceratoniae).

Les œufs que ce petit papillon pond dans les dattes se transforment en chenilles qui déprécient considérablement la qualité et la valeur marchande de celles-ci.

La perte de viabilité économique Comme on l’a déjà indiqué, les oasis, en dépit de leur isolement au sein de vastes zones arides ou désertiques, n’ont jamais été des isolats. Ainsi pendant plusieurs siècles, les oasis du Sud du Maghreb ont été des relais dans le trafic transsaharien et des lieux d’échange entre Afrique noire et Méditerranée. Les revenus procurés par le commerce et la taxation des caravanes étaient alors supérieurs à ceux provenant des productions de l’oasis, celles-ci ayant surtout pour but de contribuer à la satisfaction des besoins alimentaires de ses populations et des voyageurs. C’est ainsi que certaines oasis ont pu connaître une grande prospérité économique comme Le Touat, à l’ouest du Sahara algérien. Pour se protéger des convoitises suscitées par cette prospérité et assurer leur sécurité, les populations de ces oasis ont dû accepter de se mettre sous la protection des tribus nomades environnantes ou faire allégeance aux pouvoirs régionaux en payant un tribut à ces protecteurs prédateurs (Guillermou, 2011).

Avec le développement d’autres voies de communication et d’échange, notamment maritimes, les oasis ont perdu les avantages économiques que leur procurait leur fonction de relais sur les routes caravanières. Elles ont connu de ce fait une période de régression et de déclin. Leur survie économique n’a pu alors être assurée que par la migration des hommes vers les villes ou les pays industrialisés demandeurs de main d’oeuvre. Ce sont les revenus de ces travailleurs émigrés qui ont pris le relais des revenus provenant des échanges interrégionaux d’autrefois. Ce sont eux qui ont permis le maintien d’une certaine population dans les oasis vivant essentiellement des transferts de fonds des membres de leur famille partis en migration temporaire ou de plus longue durée. Ces migrations ont privé les oasis d’une partie importante de leur force de travail et contribué à une dégradation de leur entretien et de leur productivité.

Ainsi de nombreuses oasis apparaissent-elles désormais comme des lieux de vie et de moins en moins comme des lieux de production.

La viabilité des oasis dépend aussi de celle des exploitations familiales. Or à ce niveau de production les exploitants sont confrontés à de nombreuses contraintes : petite superficie (moins d’un hectare par exploitation), morcellement excessif de la terre et des droits d’eau, renchérissement de l’accès à l’eau au fur et à mesure de sa diminution et de sa surexploitation, enfin augmentation du prix de la main-d’œuvre avec sa raréfaction consécutive à l’émigration, si bien que, dans de nombreux cas, c’est la pluriactivité et les transferts provenant des émigrés qui permettent la survie des exploitations.

On voit que les différentes conditions de la durabilité des oasis sont en interaction.

En particulier, l’évolution de l’organisation sociale des oasis influe fortement sur leur évolution technique et économique.

Changement social et évolution agraire des oasis Le fonctionnement traditionnel de l’oasis est déterminé par un double contrôle social, celui de l’eau et celui de la force de travail.

Dans les oasis alimentées par des khettaras, les droits d’eau sont en principe proportionnels au travail investi par les familles dans la construction de ces khettaras.

Dans la plupart des cas cette construction remonte à plusieurs siècles. Depuis, les héritages successifs et l’augmentation du nombre des ayants-droits ont entraîné une fragmentation de ces droits d’eau et un allongement du tour d’eau qui font qu’il est de plus en plus difficile de satisfaire correctement les besoins en eau des cultures. Pour pallier cet inconvénient, des échanges et des ventes de temps d’irrigation sont pratiqués dans les oasis. Mais en dépit de ces pratiques d’ajustement assez complexes3, les règles de gestion de la ressource en eau dans

3. Ce qui faisait dire à Paul Pascon, sociologue marocain, que les agriculteurs confrontés à ce genre de situation « s’épuisent dans la négociation de la précarité ».

Les oasis traditionnels deviennent de plus en plus contraignants et inadaptées, au point d'amener certains agriculteurs à abandonner l'irrigation de leurs parcelles. À cela il faut ajouter que les familles descendant de la main-d’œuvre servile qui a été mobilisée jadis pour construire les khettaras n'ont pas bénéficié de droits d’eau.

Si le système des khettaras qui permet d’acheminer l’eau par gravité jusqu’à la palmeraie peut apparaître comme écologique et économique, l’énorme investissement en travail requis pour sa construction – 1 kilomètre de galerie nécessiterait le travail de 10 hommes pendant quatre ans (Grand guillaume, 1973) – et la profonde iniquité qui a présidé à l’attribution des droits d’eau en font un système qui n’est plus reproductible.

Cette obsolescence sociale du système de distribution de l’eau et la diminution progressive du débit des khettaras, voire leur tarissement, sont à l’origine du développement de l'exhaure à l'échelle individuelle par creusement d'un puits que l'on équipe ensuite d'une motopompe.

Ce développement se fait généralement à la périphérie de l'oasis traditionnel et vient concurrencer celui-ci dans l’exploitation de la ressource en eau. Ce passage du collectif à l’individuel (Jouve et al. 2009) est un phénomène très général dans les oasis qui peut conduire à la « tragédie des communs » s’il se développe sans contrôle.

L’autre cause du changement dans l’organisation sociale que l’on a pu observer dans les oasis est l’émigration. Celle-ci a été massive de 1960 à 1990, coïncidant avec les

« Trente glorieuses » des pays du Nord de la Méditerranée. Elle a eu plusieurs conséquences sur le fonctionnement des oasis. Elle les a vidés d’une grande partie de leur main-d’œuvre, ce qui explique l’entretien déficient de nombreuses palmeraies et de leur système d’alimentation en eau, notamment les khettaras.

À ce manque de main-d’œuvre s’est ajoutée la disparition progressive de ceux qui disposaient des savoirs et savoir-faire nécessaires à une bonne gestion de ces palmeraies, que ce soit en matière de sélection des rejets de palmiers ou de pollinisation.

Des modifications des rapports sociaux en ont résulté. La première est le renforcement du rôle des femmes dans le fonctionnement des oasis. Dans certaines oasis du Sud du Maroc, ce sont elles qui labourent la terre ou pollinisés les palmiers, tâches autrefois réservées strictement aux hommes.

palmiers

La pollinisation des palmiers. Photo Philippe Jouve.

Dans d’autres oasis, la pénurie de main-d’œuvre et notamment de main-d’œuvre qualifiée a modifié sensiblement les rapports entre propriétaires (souvent absentéistes) et khames4.

Ces derniers, de plus en plus sollicités, exigent désormais une rémunération de leur travail égale au quart ou au tiers de la récolte contre un cinquième auparavant et peuvent même aller jusqu’à demander d’être payés à la tâche (CNEARC, 2003).

Ce mouvement d’émancipation des khames est allé dans certaines oasis comme Oum Laalag ou Laayoune dans la province de Tata au Maroc jusqu’à la création par ces khames de jardins privés et de mini exploitations à la périphérie, confortant la tendance générale à l'individualisation de l’exploitation des oasis.

Par ailleurs, l’émigration n’a pas concerné de la même façon les différentes classes sociales existant dans les oasis. Dans de nombreuses situations, les grandes familles représentant l’aristocratie locale des zones oasiennes, par opposition au pouvoir colonial, ont été réticentes à envoyer leurs enfants à l’école des « Blancs ». De ce fait, dans de nombreuses oasis la majorité de ceux qui ont émigré en Europe provenaient de familles pauvres qui cultivaient l’oasis au service des grandes familles.

Cette migration sélective a non seulement modifié le marché local du travail mais a fait qu’après plusieurs années passées à l’étranger certains migrants ont pu accumuler un capital qui leur a permis d’acquérir, non sans difficultés, de la terre et des droits d’eau dans leur oasis d’origine. On a vu ainsi se produire une inversion sociale et économique dans certaines oasis qui s’est concrétisée parfois sur le plan de la représentation politique lors des élections locales.

Parmi les changements qui ont modifié la gestion sociale et technique des oasis et renforcé la tendance à l’individualisation des modes d’exploitation, il faut signaler le développement de grandes palmeraies modernes dont la production est destinée prioritairement à l’exportation.

Cette émergence d’une exploitation capitaliste des zones oasiennes par des investisseurs étrangers à la région a été encouragée par les pouvoirs publics, avec des fortunes diverses dans les trois pays du Maghreb. Ainsi, au sein du territoire d’une même oasis, on peut trouver trois types d’exploitation : l’ancienne palmeraie et, en marge de celle-ci, les petites exploitations familiales des ex-khames et les grandes plantations modernes. Ces trois formes d’exploitation utilisent la même ressource en eau, la concurrence se faisant en faveur des plantations modernes qui disposent de moyens d’exhaure plus performants.

Lorsque la ressource en eau est constituée par une nappe fossile cette concurrence, non régulée, met en péril la durabilité de l’ensemble de l’oasis.

Comment renforcer la durabilité des oasis ?

Améliorer le contrôle et l’équité dans la mobilisation de l’eau.

La maîtrise technique et sociale de la ressource en eau est à la base du bon fonctionnement des oasis. Or on a vu que la baisse des ressources hydrauliques, l’obsolescence sociale des anciennes règles de gestion de l’eau et la multiplication incontrôlée des pompages privés mettent en péril la durabilité des oasis.

Aussi le premier thème d’intervention en matière de renforcement de cette durabilité consiste-t-il à améliorer les conditions de mobilisation et d’usage de l’eau.

Il faut tout d’abord assurer un meilleur contrôle de l’exhaure et donc des pompages.

Dans la plupart des pays où existent des oasis, des lois et des règlements soumettent ces pompages à autorisation afin d’éviter une surexploitation de la ressource. Mais ces lois et règlements sont fréquemment transgressés.

Aussi convient-il de renforcer le pouvoir des administrations chargées de les faire appliquer.

Compte tenu des habitudes acquises en matière de passe-droits dans certaines régions oasiennes cette proposition risque fort de n’être qu’un voeu pieux. En revanche, les expériences de développement local ont montré que tout ce qui conforte le contrôle social de la ressource en eau a beaucoup plus d’impact pour assurer une gestion durable de cette ressource. C’est précisément ce contrôle social de la ressource en eau qui a permis aux oasis de survivre durant plusieurs siècles. L’évolution récente, en favorisant les initiatives privées au détriment des actions collectives, l'a mis à mal. Il faut donc le reconstruire, mais en permettant à ceux qui, historiquement, étaient exclus de l’accès aux droits d’eau, de pouvoir en acquérir. En effet, une plus grande équité dans l’accès à la ressource en eau est une condition à la mobilisation de la population de l’oasis pour cette reconstruction.

Les actions entreprises par l’ALCESDAM au Maroc montrent que cette perspective est loin d’être utopique (Loussert, 2005).

La reconstruction d’une gestion de l’eau plus régulée et plus équitable pose le problème de l’avenir des khettaras.

Sont-elles condamnées à disparaître ? C’est ce qui se produit lorsqu’elles perpétuent de trop grandes inégalités dans l’accès à l’eau et qu’en conséquence on ne peut plus trouver suffisamment de main-d’œuvre pour les entretenir, l’alternative – une intervention d’entreprises de travaux publics – étant souvent calamiteuse.

Mais il existe un certain nombre de situations où l’on peut encore mobiliser la population pour entretenir, voire réhabiliter les khettaras. C'est le cas de la palmeraie de Touteline dans l’oasis de Laayoune au Maroc. La valeur patrimoniale de ce système d’exhaure est aussi à prendre en considération dans les choix concernant leur avenir (Kikudji et al, 2005).

L’amélioration de la maîtrise de l’eau dans les oasis passe aussi par une utilisation plus économe et plus rationnelle de la ressource.

Dans cette perspective, la réhabilitation des réseaux d’irrigation, le développement de la micro-irrigation et la mutualisation des pompages résultant de la création de petits jardins privés périphériques aux anciennes palmeraies sont à encourager. Mais en définitive, l'important est de réconcilier durabilité et équité en responsabilisant l’ensemble de la population des oasis dans la gestion de l’eau.

Valoriser les produits de l’oasis Une fois améliorée la mobilisation de l’eau, il est alors possible d’entreprendre la régénération des palmeraies dégradées (Jouve et al. 2005). Celle-ci passe par la replantation de palmiers en privilégiant les variétés résistantes au bayoud et par une amélioration de l’entretien des palmeraies.

5. L’Association de lutte contre l’érosion la sécheresse et la désertification au Maroc (ALCESDAM) travaille depuis plus de vingt ans au développement des oasis du Sud de la région de Tata et en particulier à la réhabilitation des palmeraies dégradées par la sécheresse et la désertification.

Luzerne

Luzerne sous palmeraie. Photo Philippe Jouve.

Cette réhabilitation faite, la viabilité économique des oasis dépend en partie des productions qu'elles peuvent assurer. Les fortes contraintes auxquelles sont confrontés les systèmes de production oasiens (éloignement, morcellement de la terre et de l’eau, forte évapotranspiration potentielle, etc.) Conduisent à adopter une stratégie de production qui valorise les avantages comparatifs des oasis et les opportunités qu’elles offrent.

La première est la production de dattes de qualité que des pays comme la Tunisie et l’Algérie, avec la variété Deglet Nour, ont su valoriser pour développer leurs exportations.

Mais une exploitation durable des oasis ne saurait reposer sur la monoculture d’une seule variété de datte. La large gamme d’arbres fruitiers pouvant pousser sous palmiers – abricotiers, figuiers, oliviers, pêchers, grenadiers, orangers, etc. – constitue aussi une opportunité économique qui mériterait d’être mieux valorisée.

L’intérêt économique de ce type d’arboriculture supplante celui du palmier dans les oasis d’altitude.

Le formidable potentiel de productivité des luzernières est aussi un atout pour la mise en valeur des oasis. En effet la luzerne peut être à la base du développement d’un élevage ovin sédentaire permettant de mettre à profit la forte prolificité de la race D’mane. Elle peut aussi générer des revenus importants quand existe à proximité de l’oasis un marché pour l’approvisionnement en fourrage des élevages hors sol de petits ruminants, très fréquents dans les villes du Maghreb6.

Enfin le contexte bioclimatique particulier des oasis offre la possibilité de produire ou récolter des plantes médicinales, aromatiques et tinctoriales que l’on ne trouve pas ailleurs.

La culture du henné dans les oasis du Sud marocain en est un bon exemple (Collectif, 2004).

Par ailleurs la mise en culture des zones de décrue que l’on trouve sur le territoire d’un certain nombre d’oasis est une opportunité souvent ignorée et dont les bénéfices sont sous-estimés. Des aménagements, de coût limité, permettent d’atténuer les fluctuations des productions céréalières de ces zones qui peuvent avoir une grande importance dans l’économie des exploitations (Mouret et al. 2005).

Diversifier les sources de revenus De tout temps la survie des oasis a été dépendante d’autres sources de revenus que celle provenant des productions agricoles de l’oasis. Actuellement les revenus de l’émigration ont pris le relais de ceux que procurait le commerce caravanier. Ces revenus ont été jusqu’ici utilisés principalement pour subvenir aux besoins des membres de la famille restés dans l’oasis. Mais avec le retour de certains émigrés au moment de leur retraite ou par suite de la crise économique qui frappe les pays du Nord, on observe une tendance à l’investissement de l’argent provenant de l’émigration dans des activités à caractère économique, que ce soit dans le commerce, le transport, l’agriculture ou le tourisme. Cette tendance est à encourager.

Concernant le tourisme, il est clair que l’attrait pour les zones oasiennes du fait de leur patrimoine architectural (ksour), de la beauté des paysages et de l’accueil des populations, est favorable à son développement.

C’est une opportunité pour les oasis qu’il convient de valoriser en s’efforçant de faire en sorte que les revenus qu’elles génèrent puissent profiter au plus grand nombre de familles et que ce tourisme n’altère pas trop la qualité des sites et des rapports humains.

En dehors des grandes plantations de palmiers capitalistiques dont la rentabilité, sinon la durabilité, est à peu près assurée, les oasis traditionnels, même ceux bénéficiant des revenus de l’émigration et du tourisme, ont beaucoup de mal à assurer par leurs propres moyens leur viabilité économique.

Aussi, comme les zones dites difficiles existant en Europe, leur avenir dépend de la solidarité nationale. Cette solidarité a commencé à se manifester dans les pays du Maghreb par la mise en place de politiques publiques en faveur de la création de services et d’infrastructures dans les zones oasiennes.

Il serait souhaitable que la dimension internationale de cette solidarité se renforce également étant donné que les oasis constituent un élément du patrimoine mondial, comme l'a reconnu la FAO.

Favoriser une gestion concertée des oasis On a vu que la durabilité des oasis était menacée par un abandon des règles communautaires de gestion des ressources au profit d’initiatives individuelles.

Aussi est-il important de favoriser l’émergence de nouvelles institutions qui prennent le relais des anciennes structures de représentation (jmâa) afin d’organiser une gestion concertée des ressources dont dépend l’avenir des oasis et d'engager les actions en faveur de leur développement.

Dans cette perspective il faut noter la création au Maroc, en 2010, de l’Agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l'arganier.

Ces nouvelles institutions peuvent être les communes rurales mises en place dans le cadre de la décentralisation et de la démocratisation du pouvoir politique. Mais la dimension de leur zone d’action est souvent un obstacle à la participation réelle des populations aux actions qu’elles entreprennent. Aussi est-il nécessaire que ces structures politiques soient relayées par des associations à l’échelle locale, celle de l’oasis, qui permet aux populations, et en particulier aux femmes, d’être les acteurs de leur propre développement.

Lorsque l’on observe la multiplication des ONG et associations intervenant dans les oasis, souvent à l’initiative de personnes qui en sont originaires et qui ont acquis un niveau élevé de formation, on se rend compte que cette participation de la société civile est loin d’être une utopie7. C’est même un atout majeur pour construire une politique en faveur de la durabilité des oasis ■

Références bibliographiques

CNEARC, 2003. Étude de quatre oasis de la région de Tata, Maroc. CNEARC,

IRC-SUPAGRO, Montpellier.

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Dubost D.,1989. Mythe agricole et réalités sociales. Les cahiers de la recherchedéveloppement,

22, 27-41.

Grandguillaume G., 1973. Régime économique et structure du pouvoir : le système des foggaras du Touat. Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 13-14, 437-459.

Guillermou Y., 2011. Luttes pour l’eau et stratégies paysannes en milieu aride au Maghreb. Les canaux sinueux de l’agriculture durable. Actes du Colloque international LPED-IMEP-GIEST Usages écologiques, économiques et sociaux de l'eau agricole en Méditerranée. Université de

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Jouve P., Loussert R., Mouradi H., 2005. Du déclin à la régénération des oasis de la région de Tata (Maroc). Symposium international pour le développement agricole des systèmes oasiens,

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Jouve P., Ferrak M., Loussert R., Mouradi H., 2009.

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Kikudji E., Mourtada S.Y, Moujahid A., Dosso M.,

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Mouret J.C., Moreau S., Morize M., Berdaï J.,

Dosso M., Jouve P., 2005. Les cultures sur épandage de crues, un complément de ressources sous-estimé des systèmes oasiens.

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Toutain G., Dolle V., Ferry M., 1989. Situation des systèmes oasiens en régions chaudes.

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Sedra M.H., 2003. Le palmier dattier, base de la mise en valeur des oasis au Maroc : techniques phoenicicoles et création d'oasis,

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doc/66115812/Le-Palmier-Dattier-Base-de-La-Mise-en-Valeur-Des-Oasis-Au-Maroc

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Ensablement dans la vallée du Draa (Maroc). Photo Philippe Jouve.

Source web : Prof. Philippe Jouve

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