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Géoparc et Recherche Scientifique
Le coins de l’étudiant
Blog Géoparc Jbel Bani
Gestion des sols et de l’eau dans le massif d’Ifni Anti-Atlas occidental Maroc (Géoparc Jbel Bani)
Management of soils and water in the massif of Ifni. western Anti-Atlas, Morocco (Géoparc Jbel Bani)
Par Jean-Jacques Barathon, Hassan El Abbassi et Claude Lechevalier
p. 101-111
https://doi.org/10.4000/norois.3165
Le massif d’Ifni, extrémité occidentale de l’Anti-Atlas, constitue une moyenne montagne originale car, malgré son aridité (100 à 200 mm de pluies par an), une steppe dense à euphorbes lui confère un aspect vert. Les hommes ont aménagé les versants, les vallons et les vallées de façon à optimiser les faibles ressources en eaux et protéger les sols fragiles des zones défrichées. Les versants sont le domaine des murets de pierres sèches, Irharramène ou Tarhouni, dont l’entretien n’est plus guère assuré actuellement, en raison de l’abandon de la culture de l’orge. Dans les lits des grands oueds on a pu réaliser des dérivations des eaux de crues et construire, à l’abri de digues de pierres, des espaces irrigués ou Allalène, en général assez bien conservés car productifs. Enfin, les vallons plus étroits sont équipés en Allalène, disposés en marches d’escaliers et qui rappellent les Tabia du sud tunisien. D’assez nombreuses réalisations sont aujourd’hui délaissées en raison de l’important exode rural que connaît cette montagne du sud-ouest marocain. Un savoir-faire traditionnel, véritable patrimoine culturel, risque ainsi de se perdre.
Entrées d’index
Mots-clés : aménagements agraires traditionnels, milieu aride, protection des paysages
Keywords :arid environment, landscape conservation, traditional strategies
Géographique : Anti-Atlas, Maroc
Plan
Les versants sont surtout le domaine des murets
Les autres aménagements réalisés sur les versants
Le fond des vallées est surtout aménagé en bassins à murets ou Allalène
Les aménagements dans les lits des grands oueds
Les équipements réalisés dans les vallons et ravins
Le devenir de ces aménagements agricoles
Conclusion
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Notes de la rédaction
Cet article a été reçu le 20 janvier 2009 et définitivement accepté le 25 juillet 2009.
Le massif d’Ifni constitue l’élément le plus occidental de l’Anti-Atlas marocain. Située à une centaine de kilomètres au sud d’Agadir, un peu au sud du 30e parallèle, cette moyenne montagne aux altitudes modestes (900 m au maximum) présente une remarquable originalité en raison de sa flore relativement dense, constituée par une steppe à euphorbes à laquelle se mêle l’arganier clairsemé. Une telle végétation déjà évoquée par P. Oliva (1972) dans sa présentation de l’Anti-Atlas, peut surprendre car nous sommes ici aux portes du désert et, comme nous le verrons, cette formation végétale contribue largement à la stabilité des sols sur des pentes parfois fortes. Il faut dire, que malgré la modicité des altitudes, le relief du massif d’Ifni ne manque pas de vigueur (fig 1). Certes, de vastes cuvettes d’érosion évidées dans des granites présentent une topographie calme ou doucement vallonnée (bassins de Tagragra, de Mesti ou de Sbouya) mais celle-ci contraste avec les lignes de crêtes, parfois aiguës, de nature lithologique variée (calcaires, formations volcaniques anciennes) qui ceinturent ces « boutonnières » et que les principaux oueds ont incisé lors des périodes humides du Quaternaire. Vers l’ouest, ces hautes croupes dominent un remarquable replat large de quelques centaines de mètres à près d’un km selon les lieux, véritable balcon littoral, taillé en falaise vive par l’océan.
Le climat actuel n’alimente que rarement les écoulements et les hommes ont dû faire preuve d’ingéniosité pour retenir l’eau afin de pouvoir cultiver ces régions semi-arides ou pour abreuver leurs troupeaux de chèvres et de moutons. Car nous sommes ici dans une montagne peuplée d’agriculteurs sédentaires qui ont, comme dans bien d’autres régions du Maroc, défriché de nouveaux espaces devant la poussée démographique du xxe siècle. Ceci explique que des versants à fortes pentes aient pu être cultivés. Leur abandon récent, lié à l’exode rural, montre la fragilité du milieu et les ravines se multiplient là où la steppe a été détruite. Il ne faut cependant pas exagérer l’importance de l’érosion contemporaine car le climat n’est pas très agressif, les moyennes pluviométriques se situant souvent en dessous de 200 mm et même de 150 mm à Sidi Ifni. Les bassins intérieurs sont encore plus secs en raison de leur position d’abri. En revanche, l’humidité atmosphérique est élevée et atteint ou dépasse 90 % lors des mois d’été. Cela se traduit par la formation de rosées, de brumes ou même de brouillards épais dans le domaine littoral. Cette humidité peut remonter à l’intérieur du massif par l’intermédiaire des principales vallées et cela explique que l’arganier y soit souvent peu représenté. La steppe à euphorbes (Euphorbia echinus, Euphorbia regis-jubae…) occupe l’essentiel du territoire. Elle stabilise les sols, parfois profonds, hérités des périodes plus humides du Quaternaire. La présence de l’océan rend aussi compte de la clémence des températures dont les moyennes sont voisines de 23 °C. Les coups de froid sont exceptionnels tandis que le vent de sud-est, l’Akebli1,peut apporter des chaleurs relativement fortes, même sur le littoral : 48 °C à Sidi Ifni le 22 août 1988 par exemple.
Figure 1 : Relief de la zone d’étude
Relief of study area
C’est donc dans ce contexte original que nous avons étudié les aménagements humains, séculaires ou récents2, que les agriculteurs ont développés afin de préserver les sols et tirer le meilleur parti des faibles ressources en eau de la région, les réserves souterraines profondes étant rares et difficiles à exploiter par les techniques traditionnelles. Nous ne ferons pas état ici des données que nous avons pu recueillir sur l’érosion, ses manifestations et son agressivité modérée. Nous nous bornerons à rappeler que la dégradation spécifique que nous avons pu évaluer dans deux bassins versants de la région est de l’ordre de 250 t/km²/an alors que dans le bassin de l’oued Massa assez proche de notre secteur, elle est de l’ordre de 420 t/km²/an (Comité National MAB, 1979). Cette modération de l’érosion n’a pas empêché les agriculteurs de développer des techniques variées pour retenir les sols et l’eau sur les versants ou dans les fonds de vallée. Nous examinerons en premier lieu la variété de ces réalisations puis en second lieu, nous essaierons de voir quel peut être le devenir de ces aménagements.
Les versants sont surtout le domaine des murets
Ces murets constitués de pierres sèches portent localement le nom d’Irharramène3 (sing. Arharram) ou Tarhouni (littéralement attache ou attacher). Ces constructions abondent sur de nombreux versants dans les zones cultivées : cuvette de Tagragra, bassin de Mesti et de Sbouya, bassin de l’Assif Timdramt dans la zone de plateaux, front du talus littoral (photo 1)… La disposition de l’appareillage est perpendiculaire à la pente (fig. 2). Elle se fait selon des modalités différentes. Elle peut être linéaire lorsque les murets s’allongent en lignes continues entre les limites du champ aménagé, ou se présenter sous forme discontinue lorsque ces murets sont au contraire fractionnés en éléments isolés, plus ou moins longs. Souvent ces structures sont équidistantes.
Photo 1 : Irharramène et allalène de vallon dans la région littorale.
Dale irharramène and allalène in the littoral area
Figure 2 : Coupe du versant au nord de Mirleft
Cross-section of valley side in the north of Mirleft
Le mode de construction obéit toujours aux mêmes principes. Les pierres, de toutes tailles et non travaillées, sont disposées le plus souvent directement les unes sur les autres, sans tri apparent de la taille, pour construire un muret d’épaisseur et de hauteur variables. Selon le type de substrat dominant, les pierres sont des blocs de granite, de calcaire ou de croûte calcaire. La nature lithologique des pierres définit l’aspect et la résistance de la construction. Dans tous les cas, la construction des murets est précédée par un travail long et pénible d’épierrage qui débarrasse les terrains aménagés d’une partie de la charge en éléments grossiers de sols en place. La structure des murets peut admettre de nombreux vides mais elle n’est pas totalement perméable. Des éléments de petite taille, sous forme d’un mélange de cailloux, de sables et de limons sont insérés entre les blocs pour leur servir de ciment et pour boucher les vides interstitiels de grand volume. Cette imperméabilisation des murets se prolonge naturellement grâce aux atterrissements provoqués par les ruptures de charge qui se produisent à leur amont.
La hauteur des murets varie en fonction de la valeur de la pente du terrain aménagé. Nous avons mesuré des hauteurs d’un mètre sur des déclivités qui avoisinent 45 %. Lorsque la pente a une valeur inférieure à 10 %, la hauteur moyenne est comprise entre 20 et 50 cm. Nous avons constaté que les murets sur les pentes fortes présentent toujours une structure composite lorsque le milieu d’accueil (versant) porte des formations superficielles meubles épaisses. La partie construite, représentant près des deux tiers de la structure, surmonte ici une partie creusée dans le matériel de la couverture meuble. L’origine de cette partie semble liée au travail du sol en vue d’améliorer les conditions de son exploitation par abaissement de la pente. Celle-ci intervient également dans l’espacement entre deux murets successifs. Lorsqu’elle est forte, cet espacement ne dépasse pas 5 à 6 m. Dans ce cas, ces structures consomment beaucoup d’espace, contrairement à ce que l’on peut observer sur les terrains à faible pente, où cette distance peut facilement dépasser 10 m. À l’amont de chaque muret se crée un espace plat fait de matériel fin qui déborde sur le haut du muret dont la largeur dépasse rarement 1 m sur les pentes fortes.
Selon nos enquêtes, ces murets sont destinés à lutter contre le ruissellement superficiel qui menace les terrains cultivés sur les pentes. Le sens du nom vernaculaire Tarhouni se réfère d’ailleurs à une action de « musellement » qui a pour objet, dans ce domaine, l’arrêt du ruissellement et le maintien sur place des sols cultivés. Ils sont construits par les populations locales. Leur présence en grand nombre perturbe le ruissellement qui, ainsi, ne parvient jamais à se concentrer sur ces terrains. En même temps, ces murets servent de pièges au matériel arraché aux zones touchées par l’érosion à l‘amont. L’accumulation des débris derrière les murets peut créer localement des conditions favorables au développement de la végétation qui y trouve nutriments et humidité.
Les autres aménagements réalisés sur les versants
De nouvelles structures peuvent exister qui modifient plus ou moins le profil longitudinal des versants.
Les terrasses de cultures sèches sont rares dans cette partie de l’Anti-Atlas. Celles qui portent des cultures irriguées y occupent également un espace restreint (région de Tiourhza). Mais on observe en maints endroits de petits barrages destinés à contrecarrer l’action du ruissellement superficiel dans des zones à la topographie faiblement ondulée incisée par des vallons à peine encaissés dans la surface du sol. Sur le front du talus côtier ; les versants portent dans la région de Sidi Boû Lefdayel et dans leur partie inférieure de petits barrages faits de cordons de pierres ou de branches de jujubiers, hauts d’une vingtaine de cm et longs de 2 à 3 m. Ils sont réalisés ici pour empêcher le développement du ravinement.
Localement, les versants destinés à la culture du figuier de barbarie portent de petites banquettes en forme de sillons larges de 20 à 30 cm, creusés perpendiculairement au sens de la pente. Le matériel mobilisé est déposé à l’aval des sillons en bourrelet (Ardhad) convexe haut de 30 à 40 cm en moyenne. Il est souvent sous-tendu par un lit de blocs de pierre. Ces structures accueillent les plants de figuier de barbarie et servent aussi de réservoirs qui interceptent et collectent les eaux de ruissellement superficiel pendant les averses. Lorsque la récupération des eaux ruissellement est destinée à abreuver les troupeaux, on aménage des cuvettes (Tiferd ou Ifardh) plus ou moins circulaires sur les versants. La quantité d’eau recueillie peut être importante. Les pratiques culturales qui consistent à labourer les parcelles perpendiculairement à la pente pour limiter l’impact du ruissellement sont aussi fréquentes. Les sillons creusés à l’araire permettent, en effet, de briser l’énergie du ruissellement et de stocker l’eau de pluie.
Le fond des vallées est surtout aménagé en bassins à murets ou Allalène
Ce sont ces Allalène (sing. Allal) qui donnent son originalité à cette partie de l’Anti-Atlas dans le domaine des aménagements traditionnels. On les observe un peu partout mais ils sont plus fréquents dans la zone côtière en particulier dans les communes de Mirleft et de Larb’a’n-Sahel où l’espace cultivé occupe de larges surfaces. Leur répartition est conditionnée par plusieurs facteurs : des précipitations plus fréquentes, l’existence de sol ou de formations meubles, une activité agricole dominante et la présence des hommes. Il s’agit d’ouvrages destinés à la récupération de l’eau de pluie pour les cultures. On peut cependant noter une certaine variété en fonction de la taille des constructions, de leur disposition par rapport aux éléments du contexte morphologique du milieu d’accueil, etc. Le mode d’alimentation en eau permet de les classer en deux grands types.
Les aménagements dans les lits des grands oueds
Ces milieux accueillent des ouvrages qui récupèrent une partie des eaux de crues (Faïd) et les eaux de ruissellement sur les versants (fig. 3). Cette pratique correspond à ce que l’on appelle habituellement l’inondation dirigée. On en trouve de beaux exemples dans les grandes vallées qui traversent le massif comme l’oued Ifni ou l’Assif Sidi Ali Bouzid dans la Tigragra. Leur structure d’ensemble comporte un dispositif de capture et de conduite de l’eau, un espace irrigué (Allalène) comportant plusieurs parcelles ou planches et des éléments de protection.
Figure 3 : Allalène de fond de vallée (Oued Ifni)
Allalène in the bottom of the Oued Ifni valley
L’eau des crues est détournée par un barrage (Ouggoug) perpendiculaire ou oblique par rapport au lit de l’oued. L’ouvrage, constitué de blocs de pierres, de branchages et d’éléments fins pour en assurer une certaine étanchéité, peut atteindre jusqu’à 2 m de haut. De là part un canal long de plusieurs dizaines ou centaines de mètres qui conduit l’eau à la zone irriguée. Ce canal est de taille variable en fonction de la surface à approvisionner. Il se situe au pied du versant, à l’écart du lit de l’oued. Il draine ainsi les ruissellements venus du versant et permet aussi le transport des éléments fins descendus de la pente qui le domine. Les atterrissements provoqués par ces apports latéraux peuvent combler rapidement le canal. Il est donc nécessaire de le curer de façon régulière, ce qui n’est pas toujours le cas en raison du manque de main-d’œuvre. Les limons de crues et ces apports des versants permettent d’amender l’espace cultivé. Ils peuvent être redistribués sur les différentes parcelles irriguées ou constituer de nouveaux terrains de culture lorsqu’ils recouvrent des espaces caillouteux. Ils sont parfois étalés à l’aide d’une large pelle tirée par des animaux assurant un nivellement correct du terrain.
À partir du canal principal des conduites secondaires permettent l’irrigation des diverses parcelles. Celles-ci se présentent sous forme de cuvettes limitées par des murets hauts de 50 à 80 cm (photo 2). Ils sont constitués à la base de blocs de pierre et surmontés dans leur quart supérieur de matériaux fins sablo-limoneux. Ces murets sont construits de manière à ce qu’ils soient imperméables pour éviter les fuites d’eau. Chaque planche est en effet inondée lors de l’irrigation. Un dispositif fait d’ouvertures dans le tiers supérieur des murets permet de gérer l’eau à l’échelle de l’espace irrigué, en permettant au surplus d’eau de passer d’une planche à l’autre suivant un ordre amont-aval. Ainsi, chaque planche dispose d’un déversoir que l’on appelle Talkharrajt. De forme rectangulaire ou semi-circulaire, il peut être maçonné pour éviter sa dégradation rapide. Lorsque les apports d’eau sont suffisants et le système en bon état de fonctionnement, toutes les planches sont irriguées de façon normale.
Photo 2 : Allalène de fond de vallée (oued Ifni)
Allalène in the bottom of the valley (wadi Ifni)
Du côté du lit de l’oued le terroir irrigué est limité par des digues de pierres hautes de 2 à 3 m et des rideaux de végétation épineuse. C’est aussi une protection contre les bêtes errantes et les tentations humaines.
Les équipements réalisés dans les vallons et ravins
La disposition des Allalène prend alors l’aspect de véritables barrages édifiés en travers des talwegs (fig. 4, photo 3). La construction des murets doit répondre aux mêmes principes d’efficacité dans la gestion de la ressource en eau. L’Allal doit être imperméable et compact. Les éléments qui le composent (blocs de pierre et éléments fins) doivent être disposés de manière à ce qu’il n’y ait pas de vide dans le corps de l’édifice. Leur présence fragiliserait la construction et favoriserait la présence de rongeurs, véritable menace pour les cultures. C’est pourquoi ces Allalène sont le plus souvent construits par des artisans spécialisés. Les matériaux sont recueillis sur place. On peut aussi y trouver de la végétation qui renforce l’édifice. Ces Allalène constituent de véritables œuvres de maçonnerie dont la hauteur est fonction de la pente du talweg. Elle varie de quelques décimètres à 2 ou 3 m selon les lieux. Dans tous les cas, la partie supérieure est faite d’un couronnement de matériel fin de quelques dizaines de centimètres de hauteur, qui prolonge le remplissage de terre à l’arrière du muret. Ce bourrelet sommital peut aussi servir de passage pour les agriculteurs et son entretien est constant.
Figure 4 : Bassin versant à Allal, situation de vallon
Allal Drainage basin in a dale situation
Photo 3 : Allalène de vallon
Dale Allalène
Chaque Allal retient donc à son amont une plus moins grande quantité de matériaux. Ceux-ci sont en général débarrassés de leur charge grossière amenée lors des forts ruissellements dans le talweg. Ces crues apportent aussi des résidus végétaux, des déjections d’animaux et des éléments minéraux ce que l’on nomme Akal n’lfaïd ou sol de crue, très apprécié par les agriculteurs. La disposition de ces matériaux d’amont prend souvent la forme d’une cuvette profonde de 30 à 60 cm. Elle porte le nom d’Allal, par extension. Ces Allalène étagés le long des talwegs forment de véritables escaliers de cultures et d’arbres fruitiers modifiant totalement la pente originelle du talweg.
L’alimentation en eau des cuvettes est assurée par un réseau de canaux appelés Açarou (ou Assarou) qui récupèrent l’eau de pluie dans les talwegs. De petits barrages sont ainsi édifiés en travers des ravins. Parfois, l’aire de l’impluvium peut s’étendre latéralement en intégrant les versants contigus. Des canaux sont alors aménagés perpendiculairement à la pente. Ils rassemblent les eaux de ruissellement sur le versant et les dirigent vers le vallon équipé en Allalène. Chaque Allal est entouré de clôtures végétales ou de fils de fer barbelé qui assurent une protection contre les animaux. Ces défenses sont d’autant plus sérieusement aménagées que les cultures de la parcelle sont précieuses pour l’agriculteur comme les légumes ou les arbres fruitiers.
L’irrigation des cuvettes se fait par l’intermédiaire d’un Talkharrajt, située à l’une de ses extrémités, dans le tiers supérieur de l’Allal. Ce déversoir amène le surplus d’eau vers un Açarou latéral qui conduit l’eau vers les cuvettes d’aval. De l’amont à l’aval, les prélèvements des bassins successifs peuvent retenir toute l’eau de ruissellement d’un évènement pluviométrique. Lorsque les quantités sont supérieures aux besoins des bassins, le surplus est évacué vers le talweg pour alimenter d’éventuels aménagements situés plus à l’aval.
Suivant l’importance de l’encaissement des cours d’eau temporaires aménagés, les réalisations prennent des aspects différents. Dans les ravins encaissés aux versants abrupts, les cuvettes s’étirent généralement en longueur et prennent, de ce fait, une forme triangulaire comme on peut en observer notamment au sud-ouest de la zone étudiée. Lorsque le ravin est trop étroit on construit des Allalène sur le versant. Le dispositif prend alors l’aspect de véritables terrasses. Dans ce cas, le propriétaire doit construire un barrage solide dans le talweg, haut parfois de plusieurs mètres, pour amener l’eau vers les bassins. Si le vallon est au contraire évasé et dominé par des versants à pentes faibles, les bassins ont tendance à s’élargir. Cette disposition est fréquente au nord-est du domaine étudié. Ne disposant pas d’un vocabulaire adéquat pour décrire ce dispositif, A. Humbert (2003) parle de terrasses ou de vallons aménagés. Ils font penser au Tabia et Jessour décrits en Tunisie méridionale, notamment par J. Bonvallot (1986, 2002).
Grâce notamment à ces aménagements, les populations locales ont pu créer de véritables terroirs agricoles qui contrastent fortement avec les espaces environnants. La récupération des eaux de pluie et des matériaux fins arrachés aux versants par les processus de l’érosion hydrique permettent aux propriétaires des bassins à Allalène de cultiver de nombreuses plantes à la fois, y compris les plus exigeantes en eau (pommes de terre, navets, maïs, fèves, arbres fruitiers…). Cette polyculture est possible chaque fois que les conditions pluviométriques permettent d’inonder les bassins plus d’une fois dans l’année. En moyenne, trois irrigations par an suffisent pour garantir des rendements corrects Le matériel fin emmagasine d’importantes quantités d’eau qui assurent aux plantes cultivées la possibilité d’accomplir leur cycle végétatif. Ces espaces aménagés constituent la fierté de leurs propriétaires. Leur valeur est grande aux plans symbolique et foncier. Ils témoignent d’un savoir-faire subtil dans la gestion des ressources de l’environnement par les populations locales. Nous avons cependant observé de nombreux cas d’abandon de ces aménagements et leur devenir est sans doute problématique.
Le devenir de ces aménagements agricoles
La situation de ces différents aménagements est extrêmement variable. Les bassins à Allalène sont généralement bien entretenus et on constate même que des travaux sont engagés pour élargir leur domaine dans certains cas. Si dégradation il y a, c’est en général peu important et surtout passager. Le cas des Irharramène est plus complexe et préoccupant. Les formes de dégradation s’y multiplient un peu partout, surtout lorsqu’il y a renoncement aux activités agricoles et en particulier à la culture de l’orge ou son remplacement par la culture du figuier de Barbarie qui ne nécessite pas de présence humaine constante. Les murets tombent alors en ruines.
La présence humaine s’impose de manière décisive pour les bassins à Allalène. Elle est obligatoire et doit être constante si l’on veut préserver ces structures et assurer leur bon fonctionnement. Celui-ci ne requiert pas la présence du propriétaire sur place lors des épisodes de crue à condition que les travaux d’entretien aient été sérieusement réalisés au préalable (curage des canaux, étalement des atterrissements, réfection des murets et des barrages, rehaussement des faîtes des Allalène). Ces opérations ont lieu, en principe, avant chaque saison de pluie. Ils sont nommés Issfadh. Cependant les imprévus sont nombreux et nécessitent une surveillance constante et cela explique que ces bassins à Allalène se situent le plus souvent près des agglomérations. De plus pour assurer les réparations importantes il faut une main-d’œuvre qualifiée qui fait de plus en plus défaut du fait de l’exode rural important que connaissent ces campagnes. Les départs vers les grandes villes ou l’étranger ont vidé certains villages, en général les plus isolés comme dans la commune rurale du Sbouya qui a perdu 2 500 habitants entre le recensement de 1994 et celui de 2004, soit le tiers de sa population ! Les conséquences pour les aménagements sont parfois particulièrement graves.
Les Irharramène sont les premiers à en faire les frais. Ce sont en effet les cultures pluviales, sur les terrains les moins favorables, qui sont abandonnées en premier. La substitution du figuier de Barbarie à l’orge peut aggraver la situation car cette culture ne demande pas d’entretiens particuliers une fois que les jeunes pousses mises en place s’enracinent. Nous avons observé en maints endroits des Irharramène fortement dégradés sur des terrains abandonnés (Issiki) et soumis localement à une érosion importante comme sur le front du talus littoral.
À de rares exceptions, le cas des Allalène ne semble pas inquiétant pour l’instant mais il n’en sera sans doute pas de même dans un avenir proche. Sur dix personnes rencontrées sur place, neuf sont âgées à très âgées (plus de 65 ans). L’entretien des aménagements est donc souvent une affaire de vieux à condition qu’ils aient les ressources nécessaires. Huit personnes sont sceptiques quant à l’avenir des terroirs aménagés. Leurs descendants sont tous partis à la recherche de conditions de vie meilleures. Tout ce savoir-faire risque lui aussi de disparaître à brève échéance.
La situation du massif d’Ifni correspond au profond malaise que l’on rencontre dans les campagnes marocaines et en particulier dans les milieux montagnards semi-arides comme le Rif oriental (El Abbassi, 2000, 2006 ; Gauché, 2002). Lorsque les bras familiaux manquent et les traditions communautaires en matière d’aide s’effacent (Touiza), le recours au travail payé devient la seule possibilité pour continuer à prendre soin des espaces aménagés. Cette solution est coûteuse pour une grande partie des populations rurales vivant à la limite du seuil de pauvreté. Seules deux personnes rencontrées se sont lancées dans des travaux d’entretien et d’agrandissement de bassins à Allalène. Il s’agit d’un ancien émigré rentré de France et d’un fonctionnaire retraité. Ces deux initiatives apportent une lueur d’espoir pour la préservation de ce patrimoine agricole et culturel rural.
Conclusion
Si le massif d’Ifni constitue, au Maroc, une unité géographique tout à fait originale sur le plan biogéographique, il rappelle bien des montagnes maghrébines par son histoire rurale. Sous l’effet d’une poussée démographique récente, les agriculteurs ont développé des techniques de gestion des sols et de l’eau remarquablement adaptées aux conditions difficiles du milieu : versants équipés en murets protecteurs, Allalène des vallons pour recueillir eau et atterrissements bénéfiques. Ces aménagements ont permis pendant un temps de subvenir aux besoins des populations montagnardes. Aujourd’hui l’exode rural massif ne permet plus d’entretenir ces aménagements et de nombreuses ravines emportent les murets ou Irharramène sur les versants où la culture pluviale de l’orge a été abandonnée. Seuls les Allalène sont encore assez bien entretenus car plus productifs mais pour combien de temps ?
Bibliographie
Bonvallot J., 1986. Tabias et jessour du Sud tunisien. Agriculture dans les zones marginales et parade à l’érosion, Cahiers ORSTOM, sér. Pédol., vol. XXII, p. 163-171.
—, 2002. « Tabias et jessour du Sud Tunisien : Agriculture dans les zones marginales et parade à l’érosion. » Bulletin du Réseau Erosion, n° 2, p. 105-114.
Comité National MAB du Maroc, 1979. Rapport national marocain, dans Actes du séminaire L’érosion et l’aménagement des bassins versants dans les pays méditerranéens, Revue Marocaine des Sciences Agronomiques et Vétérinaires, 9e année, n° 30, Rabat, p. 27-45.
El Habassi H., 2000. Le savoir-faire des populations et gestion de l’eau et des sols dans une moyenne montagne semi-aride du Rif Oriental, Bulletin du Réseau Érosion, n° 20, p. 399-428.
—, 2006. Dynamique érosive et populations locales dans le Rif oriental marocain Quels rapports ?, dans Actes du colloque national L’érosion anthropique: méthodes d’étude, extension et processus, Université de Kénitra, 23 et 24 décembre 2005, à paraître.
Gauché E., 2002. Les campagnes des Beni Saïd (Rif oriental, Maroc) : l’exemple de la crise d’une montagne et de son avant-pays, Thèse de Doctorat, Université de Paris X, 603 p.
Humbert A., 2003. L’Anti-Atlas une montagne moribonde ? Crises et mutations des agricultures de montagne, dans Colloque international en hommage au professeur Christian Mignon, Presses universitaires Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand, p. 61-72.
Oliva P., 1972. Aspects et problèmes géomorphologiques de l’Anti-Atlas occidental, Revue de Géographie du Maroc, n° 21, (ancienne série), Rabat, p. 43-78.
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Notes
1 On peut se reporter au lexique de ce numéro spécial Maroc de Norois pour retrouver les définitions des termes vernaculaires utilisés ici.
2 Nous ne disposons pas d’information à propos de l’âge de ces aménagements.
3 Le dialecte local est riche en termes se rapportant aux aménagements. Ce vocabulaire dénote une connaissance subtile dans le domaine des pratiques endogènes de conservation des eaux et des sols. Malheureusement ce patrimoine linguistique est en train de se perdre avec la disparition des personnes âgées. Souvent les interlocuteurs que nous avons rencontrés sur le terrain étaient incapables de se mettre d’accord sur le sens à donner à des éléments des structures en place. Il arrive souvent que les appellations changent d’un endroit à l’autre. C’est pourquoi nous avons jugé utile de n’utiliser que les mots les plus usités et qui signifient la même chose dans toute la région. Nous pensons qu’il y a un gros travail à faire dans ce domaine avant qu’il ne soit trop tard.
Source web par : journals.openedition