Météorites : « Le Maroc est l’un des plus importants pays au monde en termes de trouvailles»
Au Maroc, les chutes de météorites sont fréquentes et variées, particulièrement dans le sud du Royaume. Ces chutes s’avèrent parfois une source de révélations scientifiques.
Entretien avec Pr Hasnaa Chennaoui, première scientifique marocaine et africaine dans le domaine des météorites et planétologie, et présidente de la fondation Attarik.
Finances News Hebdo : Le monde de la géologie n’a aucun secret pour vous, encore moins les météorites. Quel a été l’élément déclencheur qui a créé cet engouement pour les sciences de la terre, y compris la planétologie ?
Hasnaa Chennaoui : Au fait, c’est un pur hasard. Il est vrai que j’ai toujours été passionnée par la transmission du savoir. Dès ma tendre enfance, je voulais être enseignante. J’ai un faible pour les sciences, notamment la biologie. Après mon baccalauréat, j’ai intégré la faculté des sciences Aïn Chock de Casablanca pour suivre la biologie. Il s’avère que durant mon cursus, j’ai été très bien orientée et surtout très inspirée par des professeurs qui ont su me donner goût à la géologie. Ils avaient une approche complètement différente, qui m'a attirée et fait aimer cette branche. Dans la foulée, j’ai préparé une maîtrise en géologie. Une fois à Paris, j’ai continué à faire de belles découvertes et je me suis spécialisée en volcanologie où j’ai étudié les gaz rares. Après avoir soutenu ma thèse dans la ville lumière, je suis rentrée au Maroc, pour préparer cette fois-ci une thèse d’Etat et, naturellement, je me suis tournée vers le laboratoire d’accueil à Paris avec mon professeur Albert Jambon. Ce dernier m’a alors proposé d’intégrer l’équipe et de travailler sur les météorites. Pour lui, c’était très intéressant d’explorer ce monde, d’autant plus que beaucoup de météorites provenaient du Maroc. J’ai intégré le laboratoire parisien en 2000 et, à cette époque, je n’avais aucune idée sur les météorites. J’ai donc relevé le défi et j’ai commencé à travailler sur ces objets. Depuis, c’est une passion. Une source de connaissance et de savoir exceptionnel du patrimoine marocain.
F.N.H. : Bon nombre de météorites sont collectées sur le sol national, particulièrement dans les Provinces du sud. Pourquoi notre sol est-il propice à ce genre de chutes ?
H. Ch. : Les chutes de météorites sont complètement aléatoires, mais le Maroc est l’un des plus importants pays au monde en termes de trouvailles; et cela est dû à plusieurs raisons. Tout d’abord, le pays possède un grand désert. Le Sahara marocain a plusieurs caractéristiques : c’est un désert relativement ancien, plat et plutôt clair. Tous ces atouts permettent alors d’accumuler les météorites qui tombent sur terre. Il faut savoir que quand les météorites tombent dans des endroits humides ou avec de la végétation, elles s’altèrent rapidement, ce qui n’est pas le cas dans les déserts où elles sont préservées. Il y a également des atouts humains, puisque c’est une zone sécuritaire, où on peut partir explorer sans problème. Ajoutez à cela les nomades qui y vivent. Ils sont de grands observateurs et, par la force des choses, sont devenus des experts dans la reconnaissance des météorites. Il faut aussi prendre en compte que nous avons une grande communauté de chasseurs de météorites qui s’est constituée avec le temps; ils sont devenus de vrais connaisseurs. Ces personnes sillonnent le désert à la recherche de ces chutes de météorites, qui sont une source de revenu pour elles. Pour toutes ces raisons, le sol du Maroc regorge de météorites, qui sont d’ailleurs très utiles pour la communauté scientifique. Il faut retenir que durant les 20 dernières années, le Royaume a connu un nombre de chutes plus important que partout dans le monde. C’est un phénomène sur lequel nous sommes en train de travailler.
F.N.H. : Quelles sont les dernières chutes de météorites observées au Maroc et quelles sont leurs portées scientifiques ?
H. Ch. : 2021 a été une année très riche durant laquelle trois chutes de météorites ont été observées, notamment à Msyed, Taghzout, puis à Tiglit. En 2004, nous avons eu beaucoup de météorites d’une importance capitale, telle que la météorite martienne tombée à Tissint, dans la province de Tata. Nous avons effectué plusieurs travaux sur cette météorite, dont deux publications dans le prestigieux magazine Science. Il s’agit d’une véritable fierté pour le Maroc. Sans oublier la météorite de Tarda, tombée le 25 août 2020 dans un village situé à proximité d’Errachidia. Cette dernière a beaucoup d’intérêt scientifique puisqu’il est question d’une chondrite carbonée. C’est par le biais du travail réalisé sur ce type de roches que nous avons pu avoir des informations sur l’origine de l’eau et de la matière organique sur terre. Aussi, je cite la météorite de Tiglit, tombée en décembre 2021 à environ 140 km au sud-est de la ville de Guelmim, une météorite de type rare sur laquelle nous travaillons encore. A noter que l’année 2022 n’a connu aucune chute de météorite.
F.N.H. : La fondation Attarik a initié la 2ème édition de l’expo musée, « Les météorites messagères du ciel ». Quels sont les enjeux de cette exposition ?
H. Ch. : Cette expo musée fait suite à la première, tenue en 2021 à Anfa Place, et qui a accueilli, pendant une année, plus de 15.000 visiteurs. Cette exposition vient répondre à l’un des objectifs primordiaux de la fondation Attarik, celui de la diffusion du savoir. Notons que l’association a quatre objectifs principaux, à savoir la valorisation du patrimoine géologique du Maroc, la promotion de la recherche scientifique sur les météorites et la planétologie au Maroc, le développement territorial par le montage de circuits géo-touristiques et par l’astro-tourisme et, comme précité, la diffusion des connaissances. En plus des météorites, cette expo musée met la lumière sur différentes sciences, notamment le système solaire, les fossiles du Maroc ainsi que les traces des dinosaures, l’importance des cratères d’impact dans le système solaire, les minéraux ainsi que l’impact des savants musulmans sur l’astronomie et les sciences de façon générale. Cette exposition compte également un planétarium professionnel, qui permet d’avoir des projections de films à 360° et également des activités de lecture du ciel.
F.N.H. : Que représente pour vous le 8 mars et quel message voulez-vous véhiculer à la jeunesse, notamment la gente féminine ?
H. Ch. : En ce 8 mars, Journée mondiale des droits des femmes, nous avons la responsabilité de maintenir, de développer et de promouvoir les droits pour lesquels nos mères et nos grands-mères ont milité pour que nous puissions, nous femmes, sortir, travailler, être autonomes, indépendantes et avoir une liberté, etc. J’espère donc que les jeunes filles verront dans ces activités des opportunités d’ouverture, d’épanouissement et de réalisation de soi. Je répète souvent à mes étudiantes et à mes étudiants également qu’ils doivent suivre leurs rêves, croire en leurs capacités et ne se mettre aucune limite. A cet égard, je conseille aux jeunes femmes de choisir le bon partenaire qui va leur permettre de s’accomplir en tant que personne, tout cela dans le respect mutuel bien évidemment, et ce afin de pouvoir aller tous de l’avant et construire ensemble. Mon dernier message et non des moindres concerne les jeunes filles et femmes : il ne faut pas hésiter à aller vers des domaines qui sont ou réputés comme masculins pendant très longtemps mais qui, en réalité, ne le sont pas. Je leur dis aussi, suivez votre passion, épanouissez-vous et faites les sciences car c’est très important et enrichissant.
Source web par : fnh
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