Figuig : une oasis à classer au Patrimoine de l’Humanité ? pour Professeur Jean-Pierre VAllAT
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Figuig : une oasis à classer au Patrimoine de l’Humanité ? pour Professeur Jean-Pierre  VAllAT

Professeur Jean-Pierre  VAllAT

UMR Anthropologie et Histoire des Sociétés Antiques, Université Paris VII-Denis Diderot

Figuig : une oasis à classer au Patrimoine de l’Humanité ?

C’est  un  grand  honneur  et  un  réel  plaisir  que  les  plus  hautes  autorités  du  Maroc  et  de  l’UNESCO aient fait le choix de consacrer trois journées à l’Oriental Marocain, dans le cadre d’une réflexion sur le patrimoine et le développement régional. L’équipe que j’ai eu le plaisir de coordonner sous l’égide de la Municipalité de Figuig et du Ministère de la Culture marocain, avait pour objectif de rendre deux dossiers concernant l’oasis :

• une demande de classement au Patrimoine de l’Humanité ;

• une demande de classement en urgence dans le cadre du « péril » encouru par ce site.

Ces deux dossiers sont entre les mains des autorités marocaines depuis juin 2010, soit près

de 300 pages rédigées par nabila Goumeziane, assorties d’une dizaine d’annexes de 1 000

pages  (rédigées  par  Joachim  Guillaume,  Hervé  Micaud,  Elise  Allaoua,  Hélène  Dufresnes,  Olivier Guillaume, Camille Vallat, Sarah khazindar, Joseph Maussion, Gabriel Hagaï, Sylvia Di Donato, Jesus de Prado, Wissem Gueddich, Gwenaelle Janty, Majjid beqqali, Claire Pichard).

L’Université Paris VII - Denis Diderot, l’Ecole nationale Supérieure d’Architecture Paris-Val- de-Seine, l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, en collaboration avec la mission  archéologique et patrimoniale du Conseil Général de Seine-Saint-Denis, ont mené un travail associant diverses disciplines afin de faire le diagnostic et de proposer la meilleure stratégie : architectes,  urbanistes,  historiens,  anthropologues,  archéologues,  spécialistes  des  textes 

hébreux  et  arabes,  géographes,  informaticiens,  ont  consacré  cinq  années  de  missions 

(2005-2010)  à  ce  dossier  passionnant.  Que  les  autorités  marocaines,  et  particulièrement 

les deux Présidents de la Municipalité, Mustapha Lali et Omar Abbou, que le responsable

de la coopération décentralisée, brahim bahou, soient remerciés pour la confiance qu’ils

nous ont accordée. Et, puisque nous faisons ici un travail de mémoire, je voudrais rendre

au Délégué Régional à la Culture, Omar Abbou, le nom que les autorités coloniales françaises ont enlevé à sa famille et le saluer de son vrai et antique nom : Hasan bouras.

l’Afrique du nord et le Maroc dans le classement de l’UNESCO

Pour comprendre la légitimité de la demande de classement de l’oasis de Figuig au Patrimoine de l’Humanité, il faut analyser deux données que nous avons traitées lors du colloque de 2010 intitulé « Ruin conference » (à paraître) et que nous voudrions rappeler, ici.

Tout d’abord, les cinq pays d’Afrique du nord que sont, d’Ouest en Est, le Maroc (8 sites),

l’Algérie (7 sites), la Tunisie (8 sites), la Jamahiriya arabe libyenne (5 sites), l’Egypte (7 sites), ne représentent que 35 sites sur le millier de sites classés par l’UNESCO, soit un pourcentage ridicule si l’on considère leur histoire, leur population, leur superficie.

L’équilibre  est  presque  parfait  entre  les  cinq  pays  et  le  classement  traduit,  d’une  part,  la  conception très « occidentale » que les experts occidentaux ont de la culture et, d’autre part, des rapports politiques qui font que la qualité scientifique des dossiers, la mauvaise gestion de certains sites menacés de déclassement, comptent moins que les rapports de force régionaux ou internationaux.

Il suffit de comparer ces chiffres avec ceux des trois pays d’Europe qui ont le plus de sites,

l’Italie, l’Espagne, la France - plus de cent sites à eux trois - pour être convaincu du premier point.  Il suffit de constater que la Libye n’a aucun site classé depuis 25 ans, pour étayer le deuxième point, comme si l’on punissait la politique de ses dirigeants.

Ensuite, si  le Maroc  a obtenu  le classement  de  huit  sites,  il  faut  remarquer  deux  choses  importantes. La  première réside dans la  répartition  géographique  très  déséquilibrée  de  ces sites. Tous sont situés à l’Ouest d’une ligne allant de Fès à Aït ben Addou. La Région de  l’Oriental est donc totalement délaissée, ce qui  accentue  les  déséquilibres  entre  les  cultures mises ainsi en valeur.

La  deuxième  chose  à  noter  est  que  cette  situation  alourdit  la  pression  touristique  sur 

une partie du Maroc, déjà très défigurée par le tourisme de masse dans les grandes villes

de  Marrakech,  Fès,  Tétouan,  comme  dans  les  plus  petites  comme  Essaouira  ou  Assila.  D’ailleurs,  les  comités  de  l’UNESCO  n’ont  pas  manqué,  malgré  leur  ton  diplomatique  et  leurs précautions oratoires, de dire qu’Essaouira présentait toutes les caractéristiques d’un site menacé de déclassement, comme on peut le lire dans les rapports qui se succèdent depuis 2004 :

• Rappelant les décisions 28 COM 15b.45 et 29 COM 7b.47, adoptées respectivement à sa session (Suzhou, 2004) et session (Durban, 2005) ;

• 3. Prend note du rapport de la mission Centre du patrimoine mondial/ICOMOS de suivi réactif effectuée du 26 au 29 avril 2006 ;

• 4. Félicite l’État partie d’avoir pris des mesures encourageantes pour traiter les motifs de préoccupation exprimés par le Comité, en particulier le nettoyage et la réhabilitation du quartier du Mellah et la restauration partielle du rempart sur l’Atlantique ;

• 5. Note que, bien que les mesures prises aient déjà un résultat visible sur les investissements, les activités économiques, l’accès des visiteurs et la sécurité, la tâche à accomplir demeure longue et complexe et qu’il sera essentiel de rester vigilant et d’effectuer un suivi permanent du bien, y compris sa valeur universelle exceptionnelle ;

• 6. Prie instamment l’État partie d’inclure les mesures restantes en priorité et de les intégrer dans un plan de gestion intégrée du site à soumettre au Centre du patrimoine mondial et à l’ICOMOS pour information et consultation ;

• 7. Encourage l’Etat partie à prendre, comme point de départ pour de nouveaux développements,  la  valeur  universelle  exceptionnelle  du  bien  et  les  principes  Mémorandum  de 

Vienne  sur  le  «Patrimoine  mondial  et  l’architecture  contemporaine,  Gestion  du  paysage  urbain historique» (mai 2005) ;

• 8. Demande à l’État partie de fournir au Centre du patrimoine mondial, avant le 1 février

2008,  un  rapport  actualisé  sur  l’état  de  conservation  du  bien  et  l’avancement  de  la  restauration, de la réhabilitation et d’une nouvelle conception architecturale du quartier du

Mellah et de son rempart sur l’Atlantique, en adoptant une approche intégrée dans le plan

de gestion du site, pour examen par le Comité à sa session, en 2008.

Dans les huit sites classés, comme dans sa liste indicative de onze sites, le Maroc n’a pas jusqu’à ce jour assez pris en compte les richesses culturelles de l’Oriental et l’histoire, dans

sa longue durée, de la culture préhistorique et protohistorique, berbère, phénicienne, romaine de ce pays.

Il  n’a  pas  non  plus  tenu  compte  de  l’une  de  caractéristiques  du  Maroc  moderne  et 

contemporain,  à  savoir  la  cohabitation,  pas  toujours  idyllique  et  non  conflictuelle,  mais  d’une grande richesse des diverses communautés qui en font l’originalité. Or, c’est le cas

de l’oasis de Figuig, dont le classement, en plus des critères indiscutables qui permettent

de  le  proposer  comme  site  du  Patrimoine  de  l’Humanité,  tant  pour  son  patrimoine  matériel  qu’immatériel,  serait  aussi  le  moyen  de  participer  au  développement  régional  et  à  l’encouragement d’un tourisme non invasif et respectueux des populations

le classement de l’UnESCO : une concentration des sites à l’Ouest du Maroc

1 Medina de Fès

2 Medina de Marrakech

3 ksar Aït b

en Addou

4 Ville historique de Meknès

5 Site archéologique

de Volubilis

6 Medina de Tétouan

7 Medina d’Essaouira                                

8 Ville de Mogador

la spécificité de l’oasis de Figuig

Le  patrimoine  de  l’oasis  est  à  la  fois  matériel  (modes  de  construction  traditionnels  en  terre, palmier, enduits à la chaux et au sable..., architecture des mosquées, marabouts et

maisons,  hammams,  structures  des  rues  et  des  places),  immatériel  (récits  des  habitants, 

des  anciens,  de  chaque  fraction,  tribu,  communauté,  activités  artisanales,  commerciales, 

chants,  légendes)  et  environnemental  autant  que  sociétal  (eau,  palmeraie,  jardins),  donnant ainsi tout son sens à la notion de « paysage culturel ».

Il  représente  diverses  cultures  et  diverses  religions  :  berbère,  arabe,  musulmane,  juive,  chrétienne. Il est le carrefour d’échanges multiples, empêchés aujourd’hui par la frontière entre Maroc et Algérie, mais que tribus et familles continuent à maintenir.

C’est pourquoi nous avons proposé un classement selon trois des dix critères de l’UNESCO :

• apporter un témoignage unique, ou du moins exceptionnel, sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue ;

•  offrir  un  exemple  éminent  d’un  type  de  construction  ou  d’ensemble  architectural  ou technologique ou de paysage illustrant une (ou des) période(s) significative(s) de l’histoire humaine ;

• être un exemple éminent d’établissement humain traditionnel, de l’utilisation traditionnelle  du  territoire  ou  de  la  mer,  qui  soit  représentatif  d’une  culture  (ou  de  cultures),  ou de l’interaction  humaine  avec  l’environnement,  spécialement  quand  celui-ci  est  devenu  vulnérable sous l’impact d’une mutation irréversible.

L’inventaire  minutieux  des  bâtiments,  maisons,  mosquées,  cimetières  (musulmans,  chrétiens,  juifs),  et  l’étude  archéologique  du  ksar  Oudaghir,  notamment  du  quartier  du  Mellah, alors même que deux des trois synagogues de Figuig ont disparu, ont fourni un bel

exemple  de  ce  que  l’histoire  complexe  des  sociétés  de  Figuig  offre  au  patrimoine  de 

l’Humanité  :  diversité  des  maisons,  caractéristiques  des  mosquées  et  écoles  coraniques, 

modes de construction traditionnels, épigraphie des cimetières, manuscrits et imprimés de la gueniza, objets de la vie quotidienne.

La mise en place de protections, la proposition d’un plan de gestion et de conservation et de restauration, la construction d’outils de gestion, nécessitent cependant une vigilance que, pour l’instant, ni la Municipalité, ni l’Etat n’offrent.

Or, les dégradations du bâti comme celles de la palmeraie ne sont pas seulement le fait des intempéries, des maladies du palmier, du manque d’argent, mais aussi de pratiques sociales qui se disloquent, de rapports difficiles entre propriétaires privés, djemaa, ksour,

structures  municipales  et  étatiques,  qu’il  s’agisse  de  la  charte  du  bâti  ou  du  contrôle  de  l’eau. Le classement de Figuig au Patrimoine de l’Humanité est l’un des moyens de faire

comprendre  à la population que  vivre  dans le bâti  ancien en le respectant, en  l’aménageant, c’est  retrouver une  harmonie  avec  le  désert, une  fraîcheur  et  une  ventilation  des  rues, des sociabilités que l’habitat en ciment, les rues larges, le goudron, les places démesurées  ou  closes  ne  permettent  pas.  C’est  accompagner  cette  population  pour  que  les  forages et le pompage privatif de l’eau ne mettent pas en péril le système ancestral de sa répartition.

le bâti ou  les jardins se dégradent par abandon et absence d’entretien de voisinage

Un très riche patrimoine est aujourd’hui menacé, quelles que soient l’époque de son édification et la culture qu’il représente. Ainsi, la synagogue d’Oudaghir disparaît peu à peu

et  est  privatisée,  malgré  les  lois  qui  permettraient  de  la  protéger  comme  bien  religieux, 

ou comme bien en déshérence depuis plus de vingt ans, ou encore comme bâti menacé de ruines. On construit maisons et mosquées, au sein même des ksour, sans respect pour l’architecture traditionnelle. Les cimetières juifs, chrétiens et musulmans gagneraient à mieux être entretenus.

Pour  que  le  classement  de  Figuig  par  l’UNESCO soit efficace, un long travail de terrain est encore nécessaire. La formation des personnels au contrôle des constructions et à la délivrance des permis de construire, ainsi que la maîtrise d’une carte interactive délimitant précisément les parcelles cadastrales, sont en cours et nécessitent un suivi et des moyens,

mais  surtout  une  présence  permanente  sur  le  terrain  et  un  dialogue  constant  avec  les  habitants. C’est l’un des aspects administratifs du dossier.

Mais son aspect scientifique ne doit pas être négligé. La poursuite des recherches archéologiques  extensives  (comme  dans  le  cas  des  tumuli  et  gravures  rupestres)  ou  intensives  (comme dans le relevé des ksour et l’étude de la chronologie relative et absolue des édifices remarquables) peut permettre la formation et le maintien au pays de jeunes en recherche de travail, susceptibles de former une véritable cellule du patrimoine, d’être des guides et des gardiens des principaux sites et d’en assurer mise en valeur et conservation.

Ainsi,  les  recherches  entreprises  dans  le  ksar  Ouled  Jaber  sont-elles  un  remarquable 

exemple de l’histoire de Figuig : il est situé sur un lieu conflictuel de contrôle des sources,

deux murailles d’Oudaghir et de Jaber se font face, mosquée, maisons, tours et remparts

sont encore visibles.

Abandonné depuis deux siècles, son histoire montre qu’un ksar naît, vit, puis peut mourir.

Les traces matérielles, après l’abandon des lieux, peuvent être  étudiées par l’archéologie

et  être  un  moyen  de  retrouver  la  mémoire  des  anciens  habitants.  Ainsi,  étudier  Ouled  Jaber, comme faire des recherches dans le ksar Loudaghir, ou d’autres ksour de Figuig ou aux environs, c’est valoriser un patrimoine rare, parfois exceptionnel, largement établi sur des pratiques sociales aujourd’hui en péril.

Il  est  donc  urgent  que  les  autorités  marocaines  et  l’UNESCO prennent  des  mesures  de  protection du site de l’oasis de Figuig, qu’il s’agisse de classer le site comme « en péril » ou

de le proposer au « Patrimoine de l’Humanité ».  Les étapes de la procédure sont claires.

Les populations se sentent concernées et participent largement au processus de prise de conscience  des  richesses  culturelles  locales.  De  nombreuses  associations  sont  capables  de s’emparer du processus et d’en contrôler le financement afin que celui-ci ne se perde pas dans les sables.

Je  ne  voudrais  pas  terminer  mon  propos  sans  rappeler  que  le  dossier  de  classement  de 

Figuig  au  Patrimoine  de  l’Humanité  a  aussi  été  pour  nous  tous  l’occasion  de  rencontres  internationales avec nos collègues des OnG italiennes et espagnoles, avec l’archiviste de Mantoue, Luca baraldi,  mais,  surtout  et  d’abord,  avec  une  population  accueillante, bienveillante, respectueuse de chacun, tant à Figuig que dans la vaste communauté de Figui-guis qui vit dispersée au Maroc et en France. Que tous trouvent ici le témoignage de notre profonde amitié.

Source web par oriental

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