#Maroc_Architecture : «Au Maroc, la généralisation du ciment a été catastrophique» [Interview]
le géoparc du jbel bani - tata

Vous êtes ici : Accueil > Patrimoine et culture > Patrimoine architectural > #Maroc_Architecture : «Au Maroc, la généralisation du ciment a été catastrophique» [Interview]

GJB

#Maroc_Architecture : «Au Maroc, la généralisation du ciment a été catastrophique» [Interview]

L’architecte-anthropologue Salima Naji, spécialiste des constructions respectueuses de l’environnement, privilégie une approche soutenable de l’architecture, englobant une dimension économique, culturelle et sociale, respectueuse des besoins des populations locales et de l’environnement.

Dans la province de Tata, l’architecte Salima Naji et ses artisans ont fait sortir de terre le centre culturel des Ait Ouabelli, un projet totalement construit en pierres sèches, d’après le site Chantiers du Maroc. Réalisés dans le cadre d’une initiative nationale pour le développement local, ces travaux ont nécessité une enveloppe budgétaire de 1,141 million de dirhams.

Le bâtiment, qui s’étend sur une superficie totale de 320 m², a vocation à accueillir un centre culturel qui abritera une salle multimédia, une salle polyvalente et d’exposition, des ateliers pour enfants, des bureaux et sanitaires ainsi qu’un espace extérieur accueillant un théâtre de plein air.

Votre démarche s’inscrit dans une volonté de collaborer avec les artisans locaux et d’utiliser les procédés constructifs ancestraux. Elle couvre donc à la fois une dimension sociale, traditionnelle et environnementale.

Ma démarche s’inscrit dans une architecture soutenable, c’est-à-dire une architecture qui réponde à moindre coût aux besoins de populations souvent isolées disposant de faibles revenus. Or, la soutenabilite doit tenir compte des questions sociales, économiques, environnementales et culturelles. Les artisans mobilisant des matériaux locaux sont au cœur de tous ces enjeux. En effet, les savoir-faire dits ancestraux sont le fruit d’une longue transmission d’expériences menées dans un contexte de rareté et de pénurie. Ces expériences, sur la durée, ont nourri de nombreuses innovations locales, fruit d’un cumul d’observations empiriques. Aujourd’hui, elles sont essentielles pour penser l’adaptation au changement climatique et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le bon sens devrait naturellement nous y conduire.

Centre-culturel-Ait-Ouabelli

L'intérieur du centre culturel des Ait Ouabelli / DR

Pourquoi privilégiez-vous la pierre ? Que reprochez-vous au ciment ?

Je privilégie les matériaux locaux selon une logique d’architecture de collecte : la pierre quand je travaille sur les pentes arides du Bani comme à Ait Ouabelli, la terre crue (adobes, pisé, etc.) quand c’est au cœur des espaces cultivés oasiens. Le principe est de mobiliser le matériau qui a le plus faible bilan carbone, à la fois dans sa production, son acheminement au chantier, sa mise en œuvre mais aussi sa potentielle destruction. Il faut réfléchir à la fois au cycle de vie du bâtiment mais aussi des matériaux.

Maintenant, dans le contexte des architectures oasiennes, le béton de ciment n’est pas adapté. Premièrement, c’est un matériau extrêmement énergivore pour sa production, son transport, sa mise en œuvre mais aussi pour son recyclage, d’autant plus si vous vous trouvez à plusieurs centaines de kilomètres de la première cimenterie. Deuxièmement, à l’usage, les bâtiments sont totalement inadaptés aux conditions climatiques locales et nécessitent énormément d’énergie pour être... climatisés. Troisièmement, la durabilité du matériau est très faible surtout si les dosages n’ont pas été respectés.

Le ciment, comme tout matériau, doit être utilisé à bon escient pour des bâtiments et ouvrages d’art spécifiques. Sa généralisation sur tout le territoire a été catastrophique. Outre le fait que cela participe du déséquilibre commercial du pays, l’inconfort des conditions de vie subies devrait faire réfléchir. Aujourd’hui, ce sont des dizaines de milliers de bâtiments en béton de ciment inachevés ou vides, impropres à l’habitat, qui parsèment les campagnes et défigurent les paysages. Ils représentent un gâchis phénoménal.

mont

Mehdi Benssid © Tous droits réservés

A Tiznit, vous avez conçu un centre d’archives. Quel est le but de cette démarche ?

Le projet du centre d’interprétation du patrimoine de Tiznit est le fruit d’une longue concertation avec les habitants, les associations et les élus dans le cadre d’un protocole participatif de 2008 à 2011. Parmi les attentes des associations, il était question de valoriser les archives privées des zaouias (édifice religieux musulman autour duquel la confrérie soufie se structure, ndlr), particulièrement nombreuses dans la région, mais aussi des familles qui disposent encore d’antiques registres de commerce, de correspondances politiques, d’accords tribaux, etc. Toutes ces archives sont menacées de disparition et il semble indispensable de les numériser mais aussi de les valoriser par des expositions de fac-similés auprès du grand public. Lieu à vocation publique, des salles permettent d’accueillir des expositions temporaires spécifiques mais aussi des chercheurs. Il s’agit donc d’un centre de traitement et de valorisation des archives. Pour la conservation, le lieu sera en relation avec les archives du Maroc à Rabat.

Votre travail ne se limite pas seulement à superviser des projets architecturaux ; vous vous êtes également engagée à accompagner et à encourager les acteurs locaux dans l’utilisation de matériaux locaux et le recours aux techniques ancestrales. Comment vous y prenez-vous ?

Le travail de sensibilisation des acteurs locaux a été très important. De 2006 à 2013, nous avons développé des actions pilotes avec le soutien de maîtrises d’œuvre ambitieuses comme celles de M. Ahmed Hajji, qui était alors directeur de l’Agence du Sud, ou Me Abdelatif Ouammou, qui était président de la commune de Tiznit. Puis, à partir de 2015, la législation a évolué. Nous avons répondu à des appels d’offre standards et proposé une réponse intégrant les principes de l’éco-construction afin de démontrer que cela était possible dans le cadre des contraintes légales marocaines.

Plusieurs projets ont pu ainsi être réalisés dans le cadre de l’INDH (Initiative nationale du développement humain, ndlr), notamment dans la province de Tata qui a joué un rôle pilote. Cependant, les effets étaient limités à des cercles de bonne volonté du fait de l’existence de réseaux de corruption qui privilégient le béton de ciment afin de pouvoir détourner facilement l’argent public. Par conséquent, j’ai privilégié le plaidoyer national pour le changement de la législation marocaine et j’ai eu la chance d’être soutenue par l’Académie du royaume dans le cadre de la COP22, mais aussi par le Conseil économique, social et environnemental. Dernièrement, nos directives nationales imposent le fait de privilégier les matériaux locaux pour les équipements de proximité. L’Agence nationale des équipements généraux a pour mission d’en assurer la promotion.

Le 26/07/2018

Source web Par : yabiladi

Imprimer l'article

Les articles en relation

Prise de décision relative au changement climatique: Quel rôle joue vraiment la météo ?

Prise de décision relative au changement climatique: Quel rôle joue vraiment la météo ? La prise de décision relative au changement climatique est fortement liée aux données mét&

Savoir plus...

Programme de Sauvegarde et de Développement des Oasis du Sud (Géoparc Jbel Bani)

Programme de Sauvegarde et de Développement des Oasis du Sud (Géoparc Jbel Bani) De quoi s'agit-il? Travaux agricoles à Akka Les oasis sont créées par les hommes dans des zones arides

Savoir plus...

Le Jbel Saghro

Le Jbel Saghro est un petit massif qui se trouve au sud de la Vallée du Dadès. Il s‘étend d’Ouest en Est sur 120 Km environ le long de la vallée entre Skoura et Tinerhir. Cette zone constitue la t

Savoir plus...

#MAROC_Au_Maroc_l_intense_exploitation_des_mineurs_et_des_sols_continue

#MAROC_Au_Maroc_l_intense_exploitation_des_mineurs_et_des_sols_continue COP22 Des paroles aux actes · C’est au Maroc que se tient cette année la COP22. Le sud-est du pays est un bassin minier riche en ressources n

Savoir plus...

#MAROC_Assa_Zag : Un forum pour promouvoir les oasis du Sud marocain

#MAROC_Assa_Zag : Un forum pour promouvoir les oasis du Sud marocain Ces espaces comptent un important capital humain et culturel très riche Le Forum régional des oasis revient dans sa quatrième édition

Savoir plus...

#MAROC_Le_tourisme_oasien, levier de développement

#MAROC_Le_tourisme_oasien, levier de développement Un atelier régional organisé par l’Agence du Sud Les participants à un atelier régional sur «Le développement de l'&eacut

Savoir plus...

Un festival pour l’oasis de Tata (Géoparc Jbel Bani)

Un festival pour l’oasis de Tata (Géoparc Jbel Bani) L’une des plus riches et plus anciennes Oasis du sud-est marocain disposera bientôt de son propre festival. Toug Rih, dans la province de Tata, abritera l&

Savoir plus...

Météorites : « Le Maroc est l’un des plus importants pays au monde en termes de trouvailles»

Météorites : « Le Maroc est l’un des plus importants pays au monde en termes de trouvailles» Au Maroc, les chutes de météorites sont fréquentes et variées, partic

Savoir plus...

L’Agadir d’Aït Kine à Tata : un grenier collectif symbolisant le riche patrimoine architectural de la région

L’Agadir d’Aït Kine à Tata : un grenier collectif symbolisant le riche patrimoine architectural de la région Situé à une cinquantaine de kilomètres de la province de Tata, le petit

Savoir plus...

COP 23 : les États sont d’accord… pour discuter

COP 23 : les États sont d’accord… pour discuter La COP 23 s'est achevé ce weekend sans clash, ce qui est déjà appréciable. Le bilan restera maigre mais quelques avancées sont

Savoir plus...

MOBILISATION D’UN COMITÉ DE SPÉCIALISTES DE HAUT NIVEAU (Géoparc Jbel Bani)

MOBILISATION D’UN COMITÉ DE SPÉCIALISTES DE HAUT NIVEAU (Géoparc Jbel Bani) Pour mener à bien la réhabilitation patrimoniale de la Kasbah d’Agadir Oufella, le projet a été

Savoir plus...

Réhabilitation de la Kasbah d’Agadir Oufella : un projet de restauration ancré dans l’histoire

Réhabilitation de la Kasbah d’Agadir Oufella : un projet de restauration ancré dans l’histoire Dans notre précédente édition, nous avons exploré le vaste projet de réhabili

Savoir plus...

Les tags en relation

Recherche du site

Recherche avancée / Spécifique

Géoparc et Recherche Scientifique

Le coins de l’étudiant

Blog Géoparc Jbel Bani

Découvrez notre escpace E-commerce


Pour commander cliquer ci-dessous Escpace E-commerce

Dictionnaire scientifique
Plus de 123.000 mots scientifiques

Les publications
Géo parc Jbel Bani

Circuits & excursions touristiques

cartothéques

Photothéques

Publications & éditions