Aouli-Mibladen : Un gisement 3 en 1!
La métallogénie (ou science de la formation des gisements métalliques), est une science très jeune. Elle a réellement commencé vers les années 1920-30 et est en constante évolution depuis. Ainsi la compréhension du gisement de Mibladen ne s’est pas faite en un jour et a évolué au gré des hypothèses et des moyens analytiques mis en œuvre.
Au début, les gens ont pensé à Mibladen comme un gisement syngénétiques (contemporain des sédiments qui le renferment). Puis, avec la découverte et l’étude des gisements filoniens d’Aouli, ils ont émis l’hypothèse d’une relation avec l’hydrothermalisme plombifère dans le socle. Jusqu’à la fin des années 1990 (Jébrak et al, 1998), où cette hypothèse sera abandonnée sur la base des analyses isotopiques. Aujourd’hui, on commence à évoquer même l’hypothèse d’une minéralisation récente, liée à l’orogenèse atlasique (40-0Ma) ! Quoiqu’il en soit, le district minéralisé de Mibladen-Aouli a été bien décrit par les géologues en raison de l’intérêt économique : notamment Emberger, ainsi que Dagallier. Ce district est intéressant car il a la particularité de présenter trois types de gisements de nature et d’âges complètement différents. Pour cela, il faut revenir un petit peu en arrière…
Carte géologique du district d’Aouli-Mibladen (d’après Emberger, 1965)
310-300Ma : Trias
A cette époque, le monde assiste à un bouleversement majeur : la création de l’océan atlantique. Imaginez un continent qui s’étire progressivement, se fracture pour donner naissance à une mer : ce qu’on appelle un rift. Et c’est exactement ce qui s’est passé dans la région de Midelt à la même époque ! Sauf que contrairement à l’Atlantique, ce rift a rapidement été avorté et n’a pas donné naissance à un océan. On observe le même phénomène actuellement dans l’Est de l’Afrique.
Ce rift s’accompagne d’un effondrement important. A Aouli, le rift a été préservé de l’érosion et les différences d’altitude des couches permettent d’estimer un effondrement du cœur du rift de 50 à 100m, par le biais de failles normales qui bordent le rift.
Le rift est aussi associé à un gradient géothermique très important qui résulte en une température au sein de la croûte relativement élevée.
Toutes les conditions sont réunies pour le premier acte de la formation du gisement : la chaleur au sein du rift entretient une circulation de fluides hydrothermaux qui lessivent les roches encaissantes (notamment le granite d’Aouli) et s’enrichissent en métaux (Pb, Zn, Ag, Cu). Ces fluides sont guidés par les failles bordières du rift. Au niveau de la surface, les fluides entrent en contact avec les eaux de surface, chargées elles en sulfatent et ce mélange de deux fluides de composition différentes, de températures différentes, va conduire au dépôt extrêmement rapide de la galène PbS et du quartz au sein des failles, formant ainsi des filons. Ce sont les gisements filoniens d’Aouli et de Sidi Ayad. On notera la variation de gangue selon la position par rapport à la paléosurface : en profondeur, on trouve du quartz et un peu de fluorite CaF2, et en surface c’est la barytine BaSO4 (ainsi que la fluorite) qui accompagne la galène, matérialisant ainsi les deux fluides à l’origine des dépôts.
Carotte de sondage d’un filon à Sidi Ayad
Sondage à Sidi Ayad riche en cristaux cubiques de galène
Une foreuse en action à Sidi Ayad
Une partie des fluides hydrothermaux va toutefois atteindre la surface (sources chaudes) et va se mêler aux eaux de surface. Les métaux qui y sont dissous vont alors précipiter, mais sous une autre forme : ils vont se déposer au sein des roches sédimentaires associées au rift (chenaux conglomératiques et arkoses) en cimentant les grains de roche par la galène, la cérusite (PbCO3) et la barytine. C’est le gisement synsédimentaire de Zaida. Il est remarquable de constater l’état de préservation de tout ce système : rift, filons hydrothermaux, chenaux minéralisés.
Tout ce système minéralisateur a pu perdurer durant plusieurs millions d’années mais il disparaît lors de la mise en place des puissantes coulées volcaniques (basaltes et trachyandésites) qu’on peut voir notamment à Aouli et qui sont datées entre 200 et 192Ma (Knight et al. 2004).
Coupe schématique des gisements d’Aouli-Zeida-Mibladen (d’après Emberger, 1965)
200-65Ma : Quelque part entre le Jurassique et le Crétacé…
Bien après la formation des gisements d’Aouli et de Zaida, et après bien des évènements géologiques (qu’on pourrait résumer par le dépôt de divers sédiments carbonatés épais de 100 à 200m), changement de décor : la région se trouve ensevelie par la mer. Et dans le plancher océanique, constitué donc de sédiments carbonatés (marnes, dolomies, calcaires), de l’eau circule en permanence. Cette eau est légèrement acide, salée et chaude. Elle aussi a tendance à dissoudre les roches et leurs éléments métalliques, dont les fameux filons remplis de plomb. En revanche, quand elle arrive dans certains sédiments carbonatés, les éléments métalliques dissous ont tendance à précipiter, surtout quand ils rencontrent de la matière organique riche en soufre (bois fossiles, restes d’animaux). Soit ils se déposent dans des cavités de dissolution de la roche sous forme de galène, cérusite et barytine, soit ils remplacent des couches entières, plus instables chimiquement. Ainsi s’est formé le gisement de Mibladen, au fond de la mer et pendant des millions d’années, peut être des dizaines de millions d’années.
Schéma de mise en place de la minéralisation de Mibladen, favorisée par des failles (Dagallier, 1973)
65-0Ma : Evolution supergène
Après le retrait de la mer, les sédiments minéralisés sont émergés. Le milieu semi-aride et les conditions oxydantes favorisent l’altération et la transformation des minéraux plombifères en même temps qu’une karstification : c’est alors qu’apparaissent les géodes et cristallisent la vanadinite (Pb5(VO4)3Cl) et la wulfénite (PbMoO4), qui sont en quelque sorte l’étape ultime de la formation du gisement !
Référence :
Eléments pour une synthèse métallogénique du district plombifère de la Haute Moulouya, Emberger et al. 1965, Notes et Mémoires du Service Géologique Marocain
Concentrations plombo-barytiques en milieu supratidal et dissolution précoce. L’exemple de Mibladen (Maroc), Dagallier, 1973, Compte rendu de l’académie des sciences de Paris
Contrôles tectoniques des concentrations Pb-Ba en milieu carbonaté de Mibladen (Maroc), Dagallier et Macaudière, 1987, Bulletin de la Société Géologique de France
From sandstone- to carbonate-hosted stratabound deposits : an isotope study of galena in the Upper-Moulouya District (Morocco), Jébrak et al., 1998, Mineralium Deposita
Source Web: azuritecompagnie.wordpress
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