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Le mot seul, oasis, résonne en soi comme la promesse d’une bienveillance qui nous serait réservée au terme d’un harassant périple, celui fait sur l’écorce rugueuse de notre planète ou bien au travers des flux torrentiels de la vie. Tout effort engagé pour atteindre l’oasis, tout dépassement de ses propres limites, tout danger rencontré deviennent tel un lourd manteau dont on se délaisserait sur le seuil de son entrée, sans ménagement, sans plus y prêter attention, tant la fraîcheur de ses bras, la luxuriance de ses décors, le charme de ses senteurs seraient pour nos corps et nos âmes fatigués une invitation au repos, au ressourcement et à l’oubli.

Si l’on puise dans l’imaginaire du poète Charles Baudelaire, la promesse de l’oasis serait même la raison d’être du voyage. L’invitation à s’en aller vers un ailleurs, un lointain forcément meilleur où nos insatisfactions sans cesse envahissantes, nos insatiabilités récurrentes trouveraient enfin le remède pour leur apaisement.

Le mot est féminin, quasi maternant, comme l’est le terme – l’île – que les anciens Grecs utilisaient pour désigner ces oasis découvertes lors de leurs premières observations de l’Afrique. Le géographe Hérodote, né en 480 avant notre ère, ira même jusqu’à décrire les oasis d’Egypte et de Lybie comme les « îles aux bienheureux », ouvrant la voie à la longue litanie de qualificatifs qui jusqu’à nos jours encore gravera en nous, et d’une encre indélébile, la figure de l’oasis comme le lieu d’une paix espérée et rendue indispensable face à la violence de l’existence et du monde.

Car il s’agit bien de cela : l’oasis n’existe qu’en regard de la dureté de son environnement et avant d’être une source intarissable pour les rêves de bien-être, il est la réponse tangible, à la fois instinctive et raisonnée, face au mal-être de l’existence sur Terre.

L’oasis est un écosystème de vie au milieu de l’adversité

L’oasis est le fruit du génie humain dans sa capacité à s’adapter aux conditions que la nature, et la vie, lui imposent. Dans ses fondements, il n’est précisément pas un don de la nature puisqu’il est l’expression pure d’une intention collective, celle qui aura amené des groupes d’humains, à un moment donné de leur long parcours, à décider de s’arrêter là où il n’y avait rien pour y faire communauté, foyer et puis culture.

Au fil des siècles, l’oasis est devenue pour le genre humain le lieu symbole de l’affirmation de son art à organiser l’économie de sa vie au milieu de l’adversité, parmi la rareté des ressources naturelles et face à toutes les contingences, tous ces imprévus qui toujours surgissent comme des fatalités, tous ces dangers qui sans cesse menacent.

Forte de cette capacité à tenir tête à tous ces défis, l’oasis deviendra un écosystème de vie qui attirera un brassage humain considérable, où se développeront des traditions et des arts, où s’inventeront des techniques et des artisanats, où grandiront des économies, tout ce qui participe à l’émergence dynamique de civilisations.

Cette version aussi idyllique de l’oasis ne doit cependant pas faire oublier tous les efforts mis à l’aménager et à le faire grandir, ni même sa fragilité structurelle et l’incessant travail que ses habitants ont dû fournir pour maintenir en équilibre les forces diverses et contraires qui l’environnent et qui le constituent.

L’oasis est un art d’être au monde et sur Terre

Plus qu’un aboutissement, l’oasis est l’expression de notre humanité en équilibre sur un point de Terre face au vide : une humanité vivante et agissante, forte de son expérience et donc de ses expertises qui parvient à créer de l’harmonie au sein d’elle-même et avec ce qui l’environne.

Cet équilibre fragile, pour se maintenir en stabilité, aura sans cesse exigé des humaines vigilances et rigueur, respect des règles, innovation, labeur, collégialité, partage, solidarité, responsabilité.

L’oasis, depuis ses origines jusqu’à nos jours, aura ainsi été pour l’humanité le formidable terrain d’apprentissage d’un art d’être au monde et sur Terre.

Ce savoir-faire est précieux pour aborder les défis de l’avenir alors que l’établissement d’un nouvel équilibre avec la Nature et le Vivant, mais aussi au sein et entre les communautés humaines, devient chaque année toujours plus impérieux.

Or aujourd’hui, les oasis du Maroc sont en voie de disparition. Elles sont devenues le symbole du mauvais génie de l’humain dans sa propension à nier la nature et à déchirer le livre de son expérience pourtant apprise au prix de son sang et de sa sueur, et sur le fil d’un si long cheminement.

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Oasis et palmeraie d’Agdz

L’oasis est un lieu d’habitation choisi

Les recherches archéologiques indiquent que les premières oasis ont vu le jour dans la péninsule arabique il y a près de six mille ans, en plein cœur de la période du Néolithique. L’oasis naissante est alors l’expression d’une nouvelle manière de vivre pour les humains de cette époque, en réponse aux modifications climatiques qui répandent l’aridité dans ces régions jadis florissantes mais aussi en écho aux élans de sédentarisation qui lentement éloignent les communautés de leurs usages ancestraux de la chasse, de la cueillette et donc de leur itinérance permanente au gré des saisons.

La constitution d’une oasis est ainsi un acte de sédentarisation puisqu’il consiste en l’aménagement d’un endroit au service de la vie en communauté d’un groupe humain et choisi en fonction de la présence d’une terre de qualité cultivable et d’une eau utilisable. Nous retrouvons là clairement l’étymologie du mot oasis qui est directement lié au terme grec ὄασις, lui-même tiré du copte, langue chamito-sémitique descendant de l’égyptien ancien, en traduction du mot ouahe qui signifiait alors lieu d’habitation.

Il fallut à l’ingéniosité humaine canaliser les eaux environnantes, celles de surface depuis des sources permanentes ou bien celles plus profondes issues des nappes phréatiques. Il fallut travailler les sols afin de les rendre opérationnels aux cultures émergentes grâce aux dures tâches d’aplanissement, d’épierrage, d’enrichissement. C’est dans cette Orient foisonnant de vie que fut ainsi élaborée la technique de captation des eaux sous-terraines via les khatarats ou les foggaras, termes utilisés dans les pays du Maghreb, ou les qanats de l’ancienne Perse, technique que l’on retrouve quasiment dans toutes les oasis de l’Afrique du Nord et du Maroc comme c’est le cas à Marrakech, dans la palmeraie de Skoura ou dans celle de la cité aujourd’hui disparue de Sijilmassa.

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Palmeraie d’Agdz

Le palmier, symbole de l’oasis, depuis sa naissance jusqu’à son déclin

L’oasis, c’est aussi le lieu de prédilection pour l’essor du palmier-dattier qui, depuis les plateaux iraniens jusqu’au Maroc, sur une large bande de territoires composant le Sahara septentrional, est devenu l’emblème de ces lieux de vie. Source durable d’ombrage et d’humus fertile, le palmier a fourni aux habitants des oasis une denrée alimentaire de qualité tout en permettant l’aménagement de cultures agricoles structurées en paliers verticaux, avec sous les larges feuilles palmées, les fruitiers et les oliviers, et puis les légumes, les céréales et les fourrages pour les animaux.

Léon Lehuraux, officier méhariste, écrivain et ethnologue né en 1885 décrivait en ces termes l’arbre symbole de l’oasis :

« Le palmier est un arbre monumental, puissant, royal ; il a en partage la force, la majesté

Et l’élégance parfaite ; sa tige isolée remplit

Un cadre de plusieurs lieues et peuple une solitude. »

“Le palmier-dattier du Sahara algérien” édité en 1945

De symbole de la paix et des fraîcheurs offertes par l’oasis, le palmier-dattier est aussi devenu le symbole de leur déclin. Au Maroc, et au début du 20ème siècle, les différentes oasis du pays accueillaient près de 15 millions de palmiers et au terme du siècle, on en dénombrait plus qu’un tiers, l’ensemble ayant été victime de la dégradation de leur milieu de croissance, via les effets climatiques, les affections pathologiques, l’exode des populations et la perte conséquente des savoir-faire agricoles.

Aujourd’hui, il n’est plus rare de croiser des étendues de palmiers asséchés. Les grenadiers et les pommiers qui jadis poussaient sous l’ombrage de leurs ainés protecteurs disparaissent. Les maisons en terre tombent en ruines et en poussière.

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Casbah en ruine à l’oasis de Skoura

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Habitat à l’abandon dans l’oasis de Skoura

La civilisation oasienne en voie de disparation

En effet, ici au Maroc comme dans d’autres pays, les oasis se meurent, lentement mais de manière inéluctable, et ce en dépit des diverses prises de consciences écologiques qui ont jalonné les dernières décennies.

La communauté internationale a réagi par la mise en place en 1971 d’un ambitieux programme scientifique sous l’égide de l’UNESCO, le Programme sur l’homme et la biosphère (Man and Biosphere). C’est dans ce cadre institutionnel que le Maroc en 2000 a décidé de réunir ses territoires présahariens, où se situent ses oasis ancestraux, sous le label de Réserve de Biosphère des Oasis du Sud Marocain (RBOSM). Près de 80 000 km2 sont ainsi concernés, soit environ 11 % du territoire national, incluant la totalité des bassins du haut et moyen Draa et du Ziz-Gheriss dans les trois provinces d’Errachidia, de Zagora et d’Ouarzazate.

En dépit de cela, en près de vingt années après, le constat du déclin des oasis perdure.

Il faut reconnaitre que les problèmes sont nombreux et que les oasis sont victimes de fléaux autant endogènes qu’exogènes. Bien évidemment c’est le réchauffement climatique de la planète qui vient à l’esprit en premier lieu puisqu’il rend désormais inopérante la capacité traditionnelle des communautés oasiennes à gérer la rareté de l’eau.

D’autres importants facteurs ont conduit à l’appauvrissement des oasis comme l’intournable attraction vers la vie urbaine et ses logiques consuméristes qui ont modifié les besoins vitaux des individus. Les jeunes n’ont plus trouvé leur satisfaction existentielle sous l’ombre des palmiers, dans les cadres de vie ruraux. La dynamique de modernisation du pays a induit la prééminence d’un certain productivisme agricole dans les territoires oasiens, notamment en vertu d’objectif d’exportation et via le développement de monocultures, le tout au détriment de la biodiversité et de l’usage mesuré de la terre et des nappes phréatiques.

Plus largement encore, la responsabilité de l’ensemble de la société marocaine semble engagée dans l’abandon des savoir-faire liés à la civilisation oasienne. Un rapport édité en 2011 dans le cadre des travaux de l’Institut Royal des Etudes Stratégiques sous la direction de M. Driss FASSI soulignait cet état de fait :

« La coexistence avec le Sahara est séculaire, voire millénaire depuis la Préhistoire, et elle a été peu contestée. On s’y est progressivement figé dans un comportement conservatif, qui n’a permis aucun réel développement des techniques d’avenir. »

Le système oasien du Maroc : essai pour l’établissement d’une stratégie d’aménagement du système oasien du Maroc

Le souvenir lointain d’une intelligence collective

Cette inertie de la créativité, vertu humaine pourtant à l’origine de l’exploit des fondateurs de toutes ces oasis, est allée de pair avec l’incurie des gouvernances locales sur ces mêmes oasis. L’oasis a en effet toujours existé par le respect d’une gestion équilibrée de l’utilisation de l’eau, de l’entretien des moyens d’irrigation, du soin apporté aux palmiers … ce qui demandait l’implication de l’ensemble de la communauté humaine concernée par l’obéissance strictes de règles collectivement établies.

Aujourd’hui, et après la lente disparition du pouvoir tribal et son remplacement par la mécanique administrative de l’Etat central, la mobilisation d’une intelligence collective mise au service de la gestion des territoires oasiens est devenue un lointain souvenir. La seule multiplication des puits individuels et l’usage de moteurs de pompage d’eau a entrainé le bouleversement durable de l’équilibre hydrique des territoires.

Enfin, le développement rapide du tourisme est aussi venu immanquablement perturber l’écosystème oasien avec des surenchères de construction, et donc de consommation d’eau, accompagnées de destructions massives de paysage par l’anarchie des circuits de déplacements touristiques, notamment ceux qui impliquent des engins motorisés.

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L’oasis est le lieu d’expression d’une civilisation de la sobriété

Les efforts engagés au Maroc pour sauvegarder les espaces oasiens menacés n’y changeront rien. L’exemple fourni par l’Agence nationale de développement des zones oasiennes et de l’arganier (Andzoa) illustre ce constat. Le lancement en 2008 d’un vaste programme de plantation de palmiers a certes permis de redonner vigueur à l’économie de la datte, améliorant la qualité des productions et le niveau des exportations, mais cette politique du chiffre ne répond en rien aux enjeux de préservation des savoir-faire oasiens.

La multiplication des fermes de palmiers dans la région Drâa Tafilalet ne suffira pas à maintenir en vie la civilisation oasienne qui a pourtant fait du Sud Est marocain son terreau privilégié d’épanouissement.

Toute politique de préservation qui oublie que l’oasis c’est avant tout un lieu d’habitation se trompe immanquablement de cible. Et aujourd’hui plus que jamais, l’oasis doit être vue pour ce qu’elle est : l’adéquation harmonieuse entre la nature et l’humain dans une intention de vie communautaire et de durabilité.

L’oasis doit être reconnue comme la mémoire de modes de vie éco-compatibles et dans le même temps le laboratoire de leurs évolutions. L’oasis doit s’affirmer comme le lieu d’expression d’une civilisation de la sobriété face à celle de l’abondance et du gaspillage. L’oasis doit redevenir ce qu’il a toujours été, le lieu d’une convivialité humaine, celui de l’accueil, de la rencontre et de l’échange.

C’est tout cela que porte l’oasis au Maroc : l’héritage de vertus individuelles et collectives aujourd’hui plus que nécessaires à redécouvrir et à mettre en œuvre face aux bouleversements qui traversent les sociétés humaines et en regard des mutations qui peu à peu s’imposent.

Une fois de plus, l’oasis porte en son germe la promesse d’un monde où il ferait bon vivre. Une fois encore, c’est à l’humain qu’incombe la responsabilité de planter la graine en terre, et de la faire grandir.

Le  27 octobre 2020

Source web Par : sud est maroc

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