Des ballons stratosphériques pour raccorder les Kényans à internet (Géoparc Jbel Bani)
Alison Buckholtz
Quand Mugo Kibati, le PDG de Telkom Kenya, a commencé à prendre toute la mesure de la pandémie de Covid-19, il s’est tourné vers le ciel.
Il ne comptait pas sur une intervention divine, non. Il voulait juste voir s’il apercevait des montgolfières... Ces ballons stratosphériques, véritables stations de base flottantes qui circulent à environ 20 kilomètres d’altitude, sont équipés de panneaux photovoltaïques et d’antennes-relais 4G pour offrir une couverture internet aux quelque 25 millions de Kényans encore non raccordés.
Les effets attendus de la pandémie de coronavirus rendent le développement de l’accès à internet au Kenya d’autant plus urgent que pratiquement 70 % de la population vit en milieu rural ou dans des zones isolées non reliées au réseau. Telkom Kenya et Loon, une filiale d’Alphabet, la société mère de Google, discutent du déploiement de ces ballons gonflés à l’hélium depuis 2018, date à laquelle les deux entreprises ont signé un partenariat pour offrir aux Kényans une couverture internet aussi vaste que possible.
Le mois dernier, alors que le virus continuait de se propager dans le monde, les deux entreprises ont mis gratuitement leur matériel à la disposition du gouvernement kényan pour aider l’administration à poursuivre ses activités. Ces montgolfières pourraient être utilisées, par exemple, pour connecter à distance des dispensaires aux hôpitaux de référence nationaux, à d’autres structures médicales et aux services d’urgence.
Le partenariat entre Telkom Kenya et Loon devrait permettre d’offrir un accès à internet dans certaines des régions les plus inaccessibles du pays.
Le gouvernement kényan et les autorités réglementaires ont accéléré le processus d’approbation et, début avril, quatre ballons (sur un premier lot de 21) lancés depuis la base de Loon à Porto Rico, sont arrivés au Kenya — un territoire à peu près aussi vaste que la Californie. Une fois tous les ballons déployés dans le ciel kényan, Telkom Kenya et Loon procèderont au plus vite aux indispensables phases de test d’intégration des réseaux. Cette armada flottante sera alors utilisée pour la première fois en Afrique.
Une fois la crise sanitaire résorbée, les montgolfières continueront de circuler dans le ciel kényan pour respecter l’accord commercial initialement conclu dans le but de relier à internet, de manière durable et en dehors d’un cadre d’urgence, les communautés mal ou non desservies, assure Mugo Kibati. Telkom Kenya cherche des capitaux d’impact pour perpétuer le projet une fois la pandémie finie — le PDG en est convaincu, les communautés isolées auront plus que jamais besoin d’un accès fiable à internet.
« L’impact de cette crise va faire de l’éducation en ligne, de la télémédecine et des services publics numériques la ‘nouvelle normalité’ », estime-t-il. « Ces ballons équipés en 4G apporteront une connexion aux dizaines de millions de Kényans qui vivent dans des régions montagneuses difficiles d’accès et sont pénalisés parce que marginalisés. L’initiative de Loon pour renforcer les moyens de télécommunications de l’administration représente un pas en avant extraordinaire en ces temps difficiles et nous avons besoin d’aide financière pour préparer l’étape suivante. »
Tracer le chemin de l’inclusion numérique
Les efforts de Telkom Kenya pour assurer une couverture internet sur tout le territoire ont débuté après que Helios Investment Partners, une société d’investissement privée qui s’intéresse à l’Afrique, a pris une participation de 60 % dans l’entreprise en 2016 à travers un fonds dans lequel IFC a investi 25 millions de dollars. Les 40 % restants sont détenus par l’État kényan.
Les ballons de Loon, équipés en 4G, circulent à environ 20 kilomètres d’altitude, hors de portée du trafic aérien, des tempêtes et des animaux sauvages.
Pour Mugo Kibati, dans un pays où la fracture numérique est aussi profonde, il faut impérativement connecter tout le monde. Si la plupart des Kényans ont accès à la 2G, selon Telkom Kenya, 44 % des citadins ont accès à internet. Dans les zones rurales, selon la Banque mondiale (a), moins de 20 % des habitants sont reliés au réseau.
Chaque ballon couvrant une vaste zone — environ 30 fois plus qu’une station terrestre — Loon peut proposer un service de connexion dans les régions traditionnellement difficiles d’accès ou mal desservies. Le principe est le suivant : des antennes fixes envoient le signal internet à une montgolfière située à 20 kilomètres d’altitude, qui le renvoie ensuite à toute une flottille de ballons, créant ainsi une station de base aérienne capable de raccorder directement à internet le téléphone, le routeur ou la clé de sécurité (dongle) d’un utilisateur.
« Loon semble avoir les moyens de résoudre un problème qui nous résiste depuis longtemps, à savoir comment connecter les zones mal et non desservies d’Afrique — dans le cas précis, au Kenya — et leur offrir un accès stable et fiable », se félicite Julie Owono, directrice exécutive de l’ONG Internet sans frontières et chercheuse au Berkman Klein Center for Internet and Society de l’université Harvard.
Elle poursuit : « en cette période où la planète entière, y compris l’Afrique, est confinée, l’accès à internet devient vital… et l’agilité [des pays] à opérer cette transition vers le numérique et limiter les prochains calvaires économiques des populations » sera l’un des grands enseignements de la pandémie.
« Travailler d’arrache-pied »
Les montgolfières de Loon ont déjà prouvé leur utilité pour les zones touchées par une catastrophe naturelle et la connexion à internet des régions reculées, notamment au Brésil, en Indonésie, en Nouvelle-Zélande, au Pérou, à Porto Rico ou au Sri Lanka. L’entreprise se met en ordre de marche pour accompagner le Kenya tout au long de la pandémie, même si la plupart de ses salariés travaillent depuis chez eux, explique Alistair Westgarth, PDG de Loon.
Une fois la pandémie résorbée, les montgolfières de Loon resteront déployées dans le ciel kényan, pour offrir aux populations une connectivité durable en dehors d’un cadre d’urgence.
« Face à la propagation du coronavirus, Telkom et Loon travaillent d’arrache-pied pour déployer la flottille de ballons dans le ciel du Kenya et aider ainsi les autorités à gérer la crise actuelle à court terme et, à plus longue échéance, mettre en place un système durable pour les habitants », indique-t-il dans un courrier électronique. « Nos engins vont contribuer à connecter les communautés visées aux services d’urgence, mais aussi à offrir des moyens de communication alternatifs renforcés qui permettront de relier les proches en situation d’isolement ou de quarantaine. »
La santé est l’un des domaines où la capacité du gouvernement kényan à se projeter dans les zones rurales, grâce à internet, pourrait bien faire la différence en période de crise. Parce que le secteur public reste le principal pourvoyeur de services de soins, notamment pour les pauvres. D’énormes écarts d’utilisation des services de soins essentiels séparent les régions isolées des zones urbaines.
En plus de faciliter la prise en charge, un accès plus aisé à internet permettrait de relier les systèmes locaux à la plateforme nationale de soins, voire aux services de l’état civil, dont les registres sont souvent parcellaires et insuffisamment nombreux dans les zones rurales.
Mugo Kibati estime que les services fournis par Loon devraient être opérationnels au début du troisième trimestre 2020, après les phases d’expérimentation et de test. Il est convaincu que ces ballons intelligents vont être de précieux alliés des Kényans pendant cette crise particulièrement difficile.
« Face à une situation aussi critique, nos services sont plus que jamais indispensables, et nous savons que cette technologie peut procurer d’énormes avantages à tous les pays d’Afrique », conclut-il. « Nous sommes plutôt optimistes ».
Publié en avril 2020
Source web par : ifc
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