La Nasa visite une île née il y a 4 ans : un petit bout de Mars ?
Que peut bien faire la Nasa sur une île perdue dans l'océan Pacifique sud ? Étudier la Terre... et Mars, bien sûr ! Sortie de l'eau il y a seulement quatre ans, Hunga Tonga-Hunga Ha'apai est peut-être en effet un petit bout de la Planète rouge, quelques milliards d'années dans le passé. Dan Slayback, du Nasa Goddard Space Flight Center, a exploré cette île en octobre 2018. Il nous fait part de sa première découverte.
La nature malmène Hunga Tonga-Hunga Ha'apai, de son petit nom HTHH, depuis sa plus tendre enfance. Cette petite île a pointé le bout de son nez en janvier 2015 suite à l'éruption d'un volcan sous-marin dans l'archipel des Tonga. Blottie entre ses deux voisines plus anciennes, Hunga Tonga et Hunga Ha'apai, HTHH résiste depuis quatre ans contre vents et marées, échappant au sort sinistre qu'a connu en 2009 une île issue du même volcan, rapidement balayée par les flots.
HTHH n'est que la troisième île de type surtseyenne en 150 ans à survivre au-delà de quelques mois - du nom d'une île volcanique née au large de l'Islande en 1963. Ce n'était pas gagné car durant ses premiers six mois d'existence, les vagues ont eu raison du côté sud de son cône volcanique, puis ont entassé les sédiments à l'est pour former l'isthme qui la relie aujourd'hui à sa voisine, Hunga Tonga. À l'époque, Dan Slayback et Jim Garvin du Nasa Goddard Space Flight Center, qui observent HTHH depuis sa naissance grâce aux satellites, ont bien cru qu'elle disparaîtrait d'ici fin 2015. Mais l'érosion a ralenti et se poursuit depuis à un rythme plus modéré.
La transformation de HTHH se manifeste sur ces deux images prises respectivement le 28 avril 2015 et le 8 septembre 2017 par le satellite Landsat 8 de la Nasa et de l'USGS. Le cône volcanique mesure près de 120 m de haut et s'étale sur environ 1 km d'ouest en est. Un isthme le relie à sa voisine Hunga Tonga. Un banc de sable a refermé le lac de cratère du côté sud. © Nasa Earth Observatory/Jesse Allen/Landsat U.S. Geological Survey
En 2017, Dan Slayback et Jim Garvin estimaient que HTHH pourrait persister encore 6 à 30 ans. Cette prédiction tient-elle toujours après les observations faites sur le terrain ? « C'est la grande question », approuve Dan Slayback, qui s'est rendu sur l'île en octobre 2018 dans le cadre d'une expédition de la Sea Education Association (SEA).
Une érosion sans pitié
Dans un précédent article (en dessous de celui-ci), il revenait pour Futura sur quelques observations surprenantes faites sur l'île : la colonisation par la végétation, les oiseaux et le plastique (!), l'érosion sans pitié du cône volcanique par les pluies, etc. Il nous parle maintenant des enjeux de cette expédition.
Dan Slayback avait deux grands objectifs en tête. Le premier était d'effectuer des relevés de position et d'altitude pour calibrer les satellites, afin d'augmenter la précision du modèle numérique de l'île. Celui-ci permettra de calculer le volume de HTHH et de suivre son évolution au cours du temps. Son second objectif était de « chercher des signes de palagonitisation », car ce « processus hydrochimique entraînant la solidification des cendres en un matériau plus dur » apporterait un éclairage sur la longévité actuelle et future de l'île face à l'érosion.
Les premiers signes de palagonitisation
« La clé, c'est la quantité de palagonites formées sous le cône après l'éruption, révèle Dan Slayback à Futura. S'il y en avait peu, la pluie va finir par les emporter, s'il y en avait beaucoup, peut-être que l'île va perdurer. » Les précipitations, comme l'a constaté le chercheur de la Nasa sur place, ont profondément érodé les flancs et l'intérieur du cône volcanique, y creusant des ravines. Dan Slayback ne s'attendait pas à ce que ce processus soit aussi marqué, puisqu'il n'était pas observable depuis l'espace.
Les pluies ont déchiqueté les parois intérieures du cratère. Des oiseaux en grand nombre nichent dans ces ravines. © Dan Slayback
Les palagonites se forment lorsque « des cendres chaudes interagissant avec l'eau de mer se solidifient pour devenir presque aussi dures que du béton, explique Dan Slayback. Cela requiert de la chaleur et de l'eau. Si la masse[de cendres] est suffisamment importante, la chaleur peut rester ». Pour la précédente éruption de 2009, qui s'est produite à quelques kilomètres de HTHH, « peut-être qu'il n'y avait pas assez de matière », présume le scientifique, donc la chaleur s'est dissipée plus vite.
De petites roches jaunâtres
Au cours de leur visite sur HTHH, Dan Slayback et ses collègues ont trouvé et prélevé par endroit de petites roches jaunâtres, de quelques centimètres, qui semblent être des palagonites. « Nous n'avons pas encore fait les analyses nécessaires pour confirmer leur composition chimique », nous précise-t-il. Ce sont à l'heure actuelle des traces minimes de palagonitisation. Mais si ce processus « a eu lieu massivement, la couche de palagonites est probablement toujours enterrée sous une bonne couche de cendres et pourrait être exposée avec le temps, comme cela s'est produit à Surtsey », indique Dan Slayback.
C'est une des raisons pour lesquelles il s'efforce de développer un modèle 3D de HTHH et d'en calculer son volume, ainsi que la quantité de cendres et de roches volcaniques expulsées lors de l'éruption. Il peut désormais préciser les données des satellites avec les 150 points de contrôle relevés sur l'île à l'aide des étudiants de la SEA, membres de l'expédition, et avec les observations du drone. « La cartographie par drone était très utile », affirme Dan Slayback. Elle est plus détaillée que les satellites, car elle est plus proche du sol et prend des images sous plusieurs angles.
Un étudiant de la SEA effectue un relevé de position GPS au creux d'une des nombreuses ravines découpées par les précipitations sur les flancs du cône volcanique. Elles atteignent presque deux mètres de profondeur. © Dan Slayback
Des îles volcaniques sur Mars dans un passé lointain ?
Il fallait s'y attendre : les pensées de la Nasa ne s'éloignent jamais vraiment de Mars. HTHH, qui affronte les éléments au beau milieu du Pacifique, et qui pourrait reposer sur un lit de palagonites, est peut-être une fenêtre ouverte sur le passé de la Planète rouge. « Les sondes de la Nasa ont observé des cônes volcaniques de taille comparable, d'un ou deux kilomètres de diamètre, figés dans le temps à des stades d'érosion similaires. »
Des volcans martiens entourés d'eau
Cela suggère que la géologie martienne, à l'époque où le volcanisme était encore actif, ressemblait à celle de la Terre et que « ces volcans étaient probablement entourés d'eau ». Peut-être étaient-ils sous-marins ou bien l'eau est arrivée plus tard. En tout cas, ces mers et ces océans auraient engendré une érosion similaire sur les cônes volcaniques martiens.
Il y a des indices de la présence de palagonites sur Mars, mais cela reste « encore controversé », ajoute Dan Slayback. « Comme la palagonitisation n'est pas rare sur Terre, il y a de grandes chances qu'elle se produise également sur Mars puisque les processus géologiques semblent y être similaires. Ce serait excitant qu'une mission martienne aille voir sur ces sites. » A priori, cela ne figure pour l'instant pas au programme de la Nasa.
Jim Garvin et Dan Slayback du Nasa Goddard Space Flight Center nous parlent de Hunga Tonga-Hunga Ha’apai. En à peine quelques mois, l'érosion a métamorphosé l'île, comme le montre une modélisation 3D réalisée à l'aide des données satellite. En juin 2017, la Nasa a demandé à deux explorateurs français de passage près de l'île de faire des photos et des vidéos et de collecter des échantillons. ©? Visualisation : Nasa's Goddard Space Flight Center/Scientific Visualization Studio/Cindy Starr ; vidéo : Nasa/Damien Grouille/Cecile Sabau
À défaut, Dan Slayback et ses collègues peuvent aiguiser leurs connaissances de Mars sur Terre à travers HTHH. « Nous continuons de suivre son évolution depuis l'espace. Nous réussissons tous les deux mois environ », au gré du passage des satellites et de la couverture nuageuse. « Nous aimerions y retourner, peut-être l'année prochaine », confie-t-il à Futura, déplorant la brièveté de son premier séjour sur l'île, du 8 au 10 octobre 2018.
« Ce serait intéressant de refaire de la cartographie par drone, de surveiller la végétation et de chercher plus de signes de palagonitisation. » En outre, les relevés bathymétriques prévus durant le voyage n'ont pas pu être réalisés à cause du mauvais temps. Ils étaient importants pour déterminer la topographie du fond marin autour de HTHH et par conséquent pour calculer son volume.
Une île à préserver
Aussi passionnante qu'elle fût, cette expédition sur Hunga Tonga-Hunga Ha'apai n'est pas une invitation à y faire du tourisme, insiste pour conclure Dan Slayback auprès de Futura et du grand public. « On ne peut pas la visiter sans l'autorisation du gouvernement tongolais. Ils ne veulent pas que l'île soit endommagée. » Souvenons-nous en effet des détritus plastique qui jonchaient déjà ce petit morceau de terre d'à peine quelques années, censé être vierge, à l'arrivée des scientifiques et des étudiants (voir article ci-dessous). « Et ce n'est probablement pas très sûr », ajoute le chercheur de la Nasa, car l'île a un relief encore instable, en constante évolution.
Ce qu'il faut retenir
Hunga Tonga-Hunga Ha’apai, ou HTHH, est une petite île sortie des flots vers janvier 2015, après l'éruption d'un volcan sous-marin dans l'archipel des Tonga, dans le Pacifique sud.
Dan Slayback, du Nasa Goddard Space Flight Center, l'a observée pendant plus de trois ans par satellite, avant d'aller l'explorer en octobre 2018 en rejoignant une expédition de la Sea Education Association (SEA).
En quelques années d'existence, la nouvelle île a déjà été colonisée par la végétation, les oiseaux... et les déchets plastique.
Dan Slayback essaie de suivre l'évolution de HTHH et d'estimer sa longévité, alors qu'elle résiste de pied ferme aux processus d'érosion qui la rongent.
Il a découvert des premiers indices de palagonites sur l'île, une roche dure issue de l'interaction des cendres et de l'eau. De la quantité de palagonites dépend la résistance de HTHH à l'érosion et donc sa durée de vie.
Source web Par Futura-Sciences