L'oxygène disparaît progressivement des océans
Il y a plus de 10 ans, Eric Prince étudiait la migration des poissons marqués quand il a remarqué quelque chose d'étrange. Les makaires bleus (Makaira nigricans) plongeaient à 80 mètres de profondeur pour chasser au large des côtes sud-est des États-Unis, alors que cette espèce chasse d'ordinaire près de la surface, plongeant rarement à plus de 30 mètres.
Eric Prince, spécialiste de l'orphie, qui faisait alors partie de l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique, était perplexe. Il avait étudié le makaire bleu en Côte d'Ivoire, au Ghana, en Jamaïque et au Brésil. Il n'avait jamais rien vu de tel.
Les makaires bleus ne cherchaient pas de nouvelles proies : ils évitaient simplement la suffocation, en évitant les pans d'eau contenant trop peu d'oxygène. Cette découverte était l'une des premières à démontrer l'adaptation des espèces marines à une nouvelle réalité : le changement climatique responsable de la baisse du taux d'oxygène en haute mer.
« C'est un problème global, et le réchauffement climatique ne fait que l'aggraver, » explique Denise Breitburg, scientifique au centre de recherches Smithsonian Research Center. « Il faut développer des solutions globales ».
Denise Breitburg est l'auteure principale d'une nouvelle étude publiée jeudi 4 janvier dernier dans la revue Science, qui a passé au crible toutes les recherches majeures conduites sur la perte d'oxygène dans les océans. Les auteurs des études ne concluent que ce phénomène vide des régions océaniques entières de leurs habitants, transformant durablement les chaînes alimentaires marines et augmentant les risques de surpêche. Tout comme le réchauffement de l'eau et l'acidification des océans, la perte d'oxygène est l'une des conséquences majeures du changement climatique, mais cette dernière est sans doute la moins bien comprise du grand public.
« La perte d'oxygène détruit de bien des manières l'écosystème marin » explique Denis Breitburg says. « Si nous créions de vastes aires inhabitables sur terre, nous le remarquerions sans doute davantage. Mais ce genre de phénomènes est plus difficilement perceptible dans l'océan. »
En Norvège, près d’Andenes, un orque, aussi connue sous le nom de baleine tueuse, rassemble des harengs en un banc très serré. Plus grand que le dauphin, ce prédateur se nourrit de mammifères marins tels que des phoques, des lions de mer et même des baleines.
Photographie de Paul Nicklen, National Geographic Creative
AU-DELÀ DES CÔTES
La recherche de Denise Breitburg ne se focalise pas seulement sur les « zones mortes côtières », comme par exemple le Golfe du Mexique, très pollué, mais s'intéresse aussi aux étendues d'eaux profondes peuvent s'étendre sur plusieurs milliers de kilomètres.
Ces zones où l'oxygène est rare se créent naturellement, mais se sont étendues sur plus de 4.5 millions de kilomètres carrés - soit à peu près la taille de l'Union Européenne - et ce seulement depuis la moitié du 20e siècle. Ce phénomène a été aggravé par la hausse des températures.
Les eaux plus chaudes contiennent tout simplement moins d'oxygène. Elles incitent toutes les créatures marines, microbes compris, à consommer plus d'oxygène. Le changement climatique réchauffant l’océan de la surface aux profondeurs, il devient difficile pour l'oxygène frais de se mêler aux couches marines plus profondes et pauvres en oxygène.
Aujourd'hui, les zones pauvres en oxygène s'étendent d'environ un mètre par an, dans des régions comme le Pacifique est et la mer Baltique. Une aire au sud de la Californie a vu le taux d'oxygène baisser de 30 % en moins de 25 ans. Une zone pauvre en oxygène de l'Océan Atlantique bordant les côtes africaines et aussi large que les États-Unis, s'est étendue de 15 % depuis les années 1960.
En fait, les océans de notre planète ont perdu près de 2 % de leur oxygène en tout juste 50 ans, quand le nombre de zones maritimes complètement dénuées d'oxygène a quadruplé, toujours selon cette même étude. Les scientifiques peuvent désormais identifier 500 sites côtiers où les niveaux d'oxygène sont extrêmement bas.
UN FACTEUR AGGRAVANT
Pour certaines créatures marines, un niveau bas d'oxygène peut avoir de graves conséquences sur la reproduction, l'espérance de vie et le comportement animal. Même de courtes expositions peuvent changer durablement un système immunitaire. Les eaux pauvres en oxygène peuvent même affecter les futures générations animales en altérant l'expression génétique chez les poissons et les autres créatures marines.
Le changement climatique force déjà toutes les espèces, des thons aux requins en passant par les harengs, les maquereaux et les morues du Pacifique, à se déplacer en bancs plus petits dans les eaux riches en oxygène près de la surface. La concentration de ces espèces les rend plus vulnérables à la pêche, aux oiseaux et aux autres prédateurs.
L'équipe de Denise Breitburg a par ailleurs démontré que la perte d'oxygène était vérifiable dans certaines zones reproductives comme celles de la côte ouest des États-Unis et d'Amérique du Sud, où les vents repoussent les eaux froides à la surface.
La perte d'oxygène n'est pas un phénomène isolé. La hausse des températures de l'eau à elle seule menace la biodiversité marine, tout comme l'acidification causée par une augmentation de la concentration de dioxyde de carbone dans l'eau. Mais les menaces sont d'autant plus redoutables qu'elles se combinent.
« Nous avons étudié la Baie de Chesapeake et avons découvert que l'acidification de l'eau rendait les poissons plus sensibles aux bas niveaux d'oxygène, » explique la scientifique.
De plus, les zones pauvres en oxygène semblent produire leur propre gaz à effet de serre, ce qui pourrait aggraver un peu plus le changement climatique.
Le 15 Sep 2019
Source web Par la vie eco
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